Consultations CN: un autre rapport et puis après...

Par l'Agence de presse libre de la Pointe - 20 janvier 2010

Le contenu du rapport de l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM) n'offre pas de surprise si ce n'est une certaine lucidité politique dans les propos de la commission.

La seule déception, si ça pouvait en être une, est celle du président de la commission, le théologien engagé sur la justice sociale, André Beauchamp (À gauche sur l'image). Celui-ci avait l'occasion, au moins sur l'enjeu du logement social, de sortir des sentiers battus, c'est à dire de quitter l'ornière qui veut que dans un des pays les plus riches du monde, on prétend toujours être incapable de fournir un logement décent à tous et toutes.

Étonnant mais sans surprise

Étonnant sous certains aspects mais davantage discret et ambiguë sous d’autres, le rapport de consultation produit par les commissaires de l’Office de consultation publique de Montréal (OPCM) reflète en partie l’étape où en sont rendus les rapports de force entre résidentEs, groupes du quartier et proprio à propos de l’avenir des anciens terrains du CN.

Ce qui nous a étonné, c’est que les commissaires utilisent brièvement un libellé qui vient appuyer et reconnaître l’existence d’une rapport de force, ce jeu de cache-cache entre Vincent Chiara (propriétaire des terrains du CN), les résidentEs et les groupes communautaires qui s’étire depuis plusieurs années. Les trois premières lignes du point 3, qui s’intitule « L’analyse de la commission », se lisent comme suit :
« Le projet sous examen est complexe : vaste territoire, pluralité de vocations entrevues, multiplicité des acteurs, tensions sociales vives et manifestes inscrites dans une période de temps importante, conflit politique de plusieurs ordres, horizons idéologiques contrastés. »

Les deux lignes qui suivent dans le même paragraphe sont aussi importantes puisqu’elle suggère au décideur (lire les responsables politiques) des pistes de décision.
« La commission a pour mandat d’analyser le projet proposé et de suggérer au décideur des pistes de décision.»

Cependant, en offrant « au décideur » des suggestions et des recommandations, la commission n’offre pas (sauf une exception notable dont nous reparlerons) de trop s’avancer hors des sentiers battus peut-être afin d’éviter d’offrir des munitions supplémentaires aux résidentEs et aux groupes qui les appuis et de mettre le décideur dans l’embarras. Ce faisant, le rapport de la commission, sans nécessairement le souhaiter, vient conforter les positions fondamentales de ceux qui dans ce dossier possèdent le pouvoir, qu’il soit politique ou économique. C’est ce que nous allons essayer de démontrer par des exemples un peu plus loin.

À cet égard, nous souhaitons faire une mise en garde sur le rôle du rapport de la commission.

Mise en garde


Dans ce contexte, il est impérieux de rappeler constamment que l’OPCM n’est qu’un organisme consultatif sans aucun pouvoir de cœrcition ou décisionnel. Les politicienNEs ont depuis longtemps appris comment « utiliser » de tels rapports en fonction des intérêts qu’ils défendent(1) mais qui malheureusement apparaissent souvent aux yeux d’un trop grand nombre de citoyenNEs comme un « pouvoir moral et éthique » sur les décideurs politiques.

Nous pensons qu’un tel pouvoir moral est inexistant SAUF si la pression publique se fait sentir. Autrement dit, sans l’instauration d’un rapport de force rien n’est acquis. C’est uniquement à cette condition que le rapport de l’OPCM peut devenir un instrument au service des intérêts de la majorité.

(1)À titre d’exemple, nous rappelons que le propriétaire des terrains du CN Vincent Chiara a organisé un cocktail de financement qui a rapporté 54 000$ au parti du maire Tremblay.

Une façon ambiguë de se positionner

Tout au long de son rapport les commissaires utilisent étonnamment deux façons d’exprimer un choix, soit en :
• rédigeant en caractère gras, ce que nous interprétons comme ses souhaits ou en
• émettant une recommandation, toujours en caractère gras.

On peut supposer que les commissaires ont voulu créer une hiérarchie en faveur des recommandations. On pourrait croire alors que les sujets retenus à titre de recommandation sont des enjeux plus importants que les autres. Il n’en est rien.

Ainsi, le logement et plus spécifiquement le logement social ne fait l’objet d’aucune recommandation alors que le verdissement est lui, l’objet d’une recommandation. Nous ne croyons pas que le verdissement soit sans intérêt lorsqu’on parle de quartier écologique mais il reste que le logement est un « un droit humain fondamental » et que tous et toutes dans notre quartier n’ont pas accès à un habitat décent.

Certains pourront voir dans notre remarque un aspect démagogique qui ne rend pas justice aux propos du rapport sur le logement. Nous allons y revenir.

Mais d’abord, soulignons que notre critique du rapport n’abordera pas tous les sujets. Nous nous en tiendrons à ce qui nous apparaît être les aspects majeurs. Soit le logement, la circulation du camionnage lourd, sur l’avenir du bâtiment no 7 et le transport en général.

Le logement

Il apparaît évident que les commissaires ont été impressionnés de savoir que près de 40% du stock de logements du quartier est constitué d’une forme ou d’une autre de logement social. Depuis très longtemps ce chiffre constitue l’argument massue pour les pouvoirs politiques, les fonctionnaires qui oeuvrent dans les programmes d’habitation, les chambres de commerces et autres agitateurs anti-sociaux, pour nous dire que « NOUS EN AVONS ASSEZ » et qu’il faut en laisser aux autres, c'est-à-dire aux autres quartiers.

Malheureusement, le fond de cet argument est repris par les commissaires à la page 28:
« …il est difficile pour la commission d’exiger davantage (c'est-à-dire plus de 25%) d’autant que l’enveloppe de subventions en provenance du gouvernement du Québec est limitée et qu’elle doit être répartie dans toute la ville où des besoins importants se font sentir »

Il va de soit que les décideurs politiques municipaux seront particulièrement satisfaits de la position des commissaires puisqu’elle conforte la stratégie de la Ville et sa politique d’inclusion du logement social. À cet égard, nous aimerions rappeler que l’ensemble des intervenants sociaux sur le terrain du logement dont le FRAPRU, a dénoncé vertement cette politique municipale. La commission s’érige ici en évaluateur de l’enjeu du logement et objectivement elle se trouve à soutenir des politiques qui ne peuvent pas offrir la réalisation de ce droit fondamental pour tout être humain d’avoir accès à un logement décent. Enfin, rappelons qu’à au moins deux reprises l’Organisation des Nations Unis a vertement critiqué les politiques canadiennes et québécoises en matière de logement.

Il est vrai aussi que les commissaires n’ont pas été confrontés, contrairement à l’enjeu du trafic lourd, à l’agitation sociale sur l’enjeu du logement, la situation ayant été exposée durant les audiences sans être soutenue par un véritable rapport de force, ce qui fut sans doute une erreur si on se fie à l'opinion de la commission. En effet, celle-ci exprime clairement l'effet de la mobilisation sur un autre sujet à la page 41 :
« Compte tenu de la grande mobilisation sociale sur le trafic, la commission recommande… »

On peut donc être étonné que le promoteur Samcon ait offert 25% de logement social plutôt que les 15% normalement requis par la Politique municipale d’inclusion. Geste de générosité ? ou simplement le fait qu’il pourra utiliser des fonds publics dans un secteur qui n’apparaît pas particulièrement « glamour »?

Curieuse et même volontariste lorsqu’il s’agit de trouver une solution pour une sortie de camionnage, la commission l’a été beaucoup moins sur l’enjeu fondamental de l’habitation. Alors que des intervenants ont soulevé les dangers de ghettoïsation dû à sa concentration du logement social dans un seul secteur et de surcroît en presque continuité avec un secteur existant, la commission n’a pas juger bon de placer cet enjeu dans son chapitre Analyse de la commission la situation ayant été exposée durant les audiences sans être soutenue par un véritable rapport de force, ce qui fut sans doute une erreur si on se fie à l'opinion de la commission.. Il en est de même pour la question des besoins en logements familiaux et des services connexes qui font la différence en un quartier du type banlieue et un milieu urbain. Tout ça est laissé au hasard du marché.

En conclusion, la commission s’est retranchée derrière la position du promoteur communautaire « Bâtir son quartier » et de la logique de marché avancée par les promoteurs privés pour éviter d’aborder des questions difficiles.

Le bâtiment no 7

Cet ancien magasin du complexe du CN de plus de 90 000 p.c est devenu un enjeu lorsque le promoteur privé Samcon et le promoteur communautaire « Bâtir son quartier » ont négocié sa démolition derrière des portes closes. En effet, le premier plan d’aménagement de l’ensemble résidentiel prévoyait sa disparition. Il n’en fallait pas plus pour qu’en février 2009, le propriétaire Vincent Chiara profite d’une chute de neige pour démolir une partie du bâtiment qui menaçait de s’effondrer et ce sans aucun permis de l’arrondissement.

Des citoyenNEs ont attaché le grelot et depuis, ce bâtiment est devenu « l’enjeu symbolique de réappropriation » pour le quartier. Coincé, parce que faisant partie d’un ensemble patrimonial industriel, le proprio Vincent Chiara cherche depuis un moyen pour tirer profit de cet édifice qu’il ne voulait pas conserver alors que le message du milieu est que « ce bâtiment appartient à la communauté » et qu’il doit être céder gratuitement.

Les commissaires n’ont apparemment pas compris ou n’ont pas voulu saisir l’importance du bâtiment 7 comme symbolique d’une appropriation d’un espace où des milliers de travailleurs et de travailleuses ont sué corps et âme durant des dizaines d’années.

En conclusion, la commission n’a pas jugé bon de l’introduire dans son analyse. La commission aurait pu minimalement suggérer que les pouvoirs publics s’y intéressent. Elle l’a tout simplement relégué dans la case de la lutte de pouvoir qui se mène sur le terrain. Au moins il y a là une position claire. Si la communauté veut l’avoir, elle devra le prendre.

Trafic et voies d’accès

La commission a bien saisit que le maillon faible du projet c’est « L’enjeu du trafic, surtout des camions, et de la sauvegarde du parc » (page 39). C’est pour ça qu’elle le nomme « l’enjeu le plus crucial du présent dossier » (page 39). Toutefois, elle semble être tombée dans le piège jusqu’à en oublier que cet enjeu fait partie d’une problématique plus globale qui a été présentée sous plusieurs aspects par les intervenantEs et que la commission a elle-même notée dans son rapport.

En effet, la table était mise, autant par le promoteur (sa proposition de « ralentissement de la circulation automobile » sur 2 rues du projet résidentiel) que par plusieurs intervenantEs pour réaliser un aménagement global du site et de ses environs (la partie sud du quartier) en fonction prioritaire du transport collectif et actif. La commission a raté là, l’occasion que se réalise un aménagement qui sorte de l’ordinaire. Nous ne pensons pas qu’il aurait fallu qu’on lui fournisse une proposition complète, chiffrée et visuelle, de ce qu’aurait pu devenir cette partie du quartier. Nous croyons que la vaste expérience et les connaissances du président de la commission M. André Beauchamp auraient dû amplement suffire pour saisir la perche, ne serais-ce que d’aller aussi loin quel’a fait la commission pour tenter de sauver le parc de la Congrégation.

En effet, la commission nous indique qu’elle a visité le quartier avec son expert à ce sujet et elle formule une hypothèse, ce qui ne semble pas habituel. Elle mentionne dans son rapport que « Bien que règle générale, il n’appartient pas à une commission de faire des propositions nouvelles, si cela n’a pas été fait, la commission suggère d’étudier cette hypothèse » (page 41).

Ainsi, sur cet enjeu qui apparaît explosif pour la commission, elle informe donc le décideur des enjeux politiques. On peut se demander pourquoi, elle ne pourrait pas le faire ailleurs à la lumière par exemple des Politiques de la Ville ? Voilà où se situe une partie de l’ambiguïté portée par la commission et que nous avons souligné au début.

Si la commission recommande d’abandonner l’exigence de places de stationnement pour l’édifice de logement social de 8 étages (excellente recommandation) elle arrête net sa réflexion quant à une hypothèse de réduction générale du stationnement et de toute autre perspective qui aurait pu présenter un quartier modèle au niveau du déplacement de la partie sud du quartier tel que suggéré par certains intervenants. Pourtant, les propositions nouvelles étaient là.

Perspectives de lutte

Même si la commission n’a pas osé politiquement donner des munitions aux amoureux de l’écologie et de la justice sociale, elle a tout de même bien cerné l’état de la situation. Lorsque dans sa conclusion à la page 60 elle affirme que « le dossier n’est pas clos et ne le sera pas davantage après une éventuelle décision des autorités politiques », la commission sait pertinemment bien que le bras de fer risque de se poursuivre entre les intérêts dictés par la logique du marché et de la rentabilité face aux intérêts des résidentes et des résidents.

Alors, dans l’intérêt collectif, il vaut mieux poursuivre la lutte et il semble que c’est la volonté qui ressort de l’assemblée publique organisée par la Table de concertation Action-Gardien au lendemain de la publication du rapport.

D’autant plus que les nouveaux éluEs de l’arrondissement Sud-Ouest se sont positionnés sur les revendications du quartier durant la dernière campagne électorale.

Il faut donc profiter des brèches que le rapport de la commission a ouvertes pour accentuer la pression sur le pouvoir politique et sur le groupe Mach (Vincent Chiara) en utilisant divers moyens pouvant aller jusqu’à la perturbation et à l’occupation.