Nordelec: un rapport à l'image des forces en présence

Par Marcel Sévigny, 31 janvier 2007.

Comme on pouvait s'y attendre, le rapport de la Commission avance certaines modifications de la proposition originale du promoteur EL AD. Toutefois, nous y retrouvons très peu de recommandations "fermes" alors que plusieurs "souhaits" écrits au conditionnel y sont exprimés. Cette façon d'analyser laisse beaucoup de marge de manœuvre à l'interprétation et dans une telle situation les responsables politiques loin d'être coincés vers une orientation précise voient eux aussi leur marge de manœuvre augmentée. Comme ces politicienNEs mettent de l'avant un type de développement qui correspond aux grandes orientations du projet EL AD, il y a fort à parier que les décisions les plus importantes seront en faveur des promoteurs.

Mentionnons d'entrée de jeu que le rapport de l'Office de consultation publique de Montréal dévoilé le 29 janvier 2007 comprend 21 pages, à part les annexes, dont 9 pages sont consacrées à l'analyse du projet.

La première grande constatation qu'on peut faire est la suivante:

Le contenu du rapport reflète à la perfection le niveau du rapport de force existant entre le milieu de Pointe-Saint-Charles, tout acteur confondu, le pouvoir politique et les promoteurs immobiliers.

La première partie du rapport fait état des diverses opinions exprimées tout au long de la soirée du 6 novembre 2006. Dans l'ensemble, il apparaît que la plupart des sujets sur les quels se sont exprimés les participantEs, font partie de l'analyse de la commission. Toutefois, il faut le souligner, l'absence remarquable de certaines nuances, mentionnées explicitement par des participantEs, puisqu'elles auraient pu faire ressortir ou orienter davantage certaines recommandations. Voici 2 exemples:

Le rapport ne met nullement en relief, donc n'accorde aucune importance au fait que les 1 200 logements supplémentaires constituent une augmentation de 20% des logements et par conséquent de la nouvelle population du quartier, dans un secteur équivalent à 4.3% du territoire. Ce genre "d'oubli" fait en sorte que la recommandation de réduire la densité de l'Îlot B ne repose que sur le respect de la règle d'urbanisme en vigueur. Pour un observateur non avisé la recommandation est logique mais pour ceux et celles qui tentent d'évaluer plus largement les impacts, cet "oubli" évacue un questionnement plus approfondi sur l'enjeu de la nouvelle densité qui pénètre au niveau d'un quartier comme Pointe-Saint-Charles. Cette nouvelle densité sera-t-elle le nouveau repère la nouvelle base pour d'autres projets ?
o Ainsi, la commission aurait pu s'inquiéter du fait que même la construction d'un ensemble de plusieurs bâtiments de 6 étages plutôt des 8 étages proposés, ne devienne pas la norme dans le quartier, mais la commission ne l'a pas fait.

Le rapport note que la majorité des intervenants relient les problèmes de circulation à des objectifs environnementaux et émet un souhait que cette question s'arrime étroitement au Plan stratégique de développement durable de la Ville. D'une part la commission ne précise pas à quels aspects du Plan de la Ville on doit faire référence, ce qui laisse beaucoup plus de place à l'interprétation. D'autre part, des interventions citoyennes ont souligné les liens à faire avec Kyoto et avec la sortie du Rapport de la Santé publique de Montréal qui évaluait explicitement les conséquences de la pollution automobile et soulignait les efforts à faire pour améliorer la situation.
o Ainsi, la commission aurait pu s'inquiéter davantage des effets de l'accroissement de l'utilisation de l'automobile, mais la commission
ne l'a pas fait.

Alors, nous disons que cette façon de produire un rapport de consultation constitue toute la différence entre ce qu'on pourrait qualifier d'un "bon rapport" et le résultat d'un rapport qualifié de "quelconque". Ce rapport nous apparaît être dans la seconde catégorie.

L'analyse de la commission

Pour faire suite à ce que nous venons de dire, il nous apparaît inutile de décortiquer et de commenter en profondeur le contenu du rapport de la commission, cela n'en vaut pas la peine. Même si nous croyons que les membres de la commission n'ont pas produit un rapport dans le but d'en faire le meilleur projet possible, cette critique n'est pas la plus importante.

Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas se servir de ce rapport pour faire valoir des points de vue et pour en modifier les orientations. Un rapport de consultation n'est pas un catéchisme. Il y a tout de même, dans ce rapport, du matériel pour poursuivre des interventions et pour talonner les promoteurs et les politicienNEs. C'est un outil politique.

Donc, même si nous n'en faisons pas ici une analyse exhaustive, nous souhaitons tout de même positionner un certain nombre d'éléments. À ce sujet, l'opinion de La Pointe Libertaire est claire. "Ce projet immobilier est non pertinent. Il est une agression économique, culturelle et sociale envers les objectifs et les valeurs communautaires du quartier" . Pourquoi alors nous prononcer sur des recommandations d'un projet qui sera probablement accepté par les éluEs ?

Simplement parce qu'il n'y a jamais rien de couler dans le béton. Comme tous les autres projets celui-ci sera appelé à être modifié et les groupes communautaires ont des revendications afin d'en minimiser les impacts. Nous serons aux aguets. Autre chose, des questions importantes autour de ce projet n'ont jamais été soulevées. Le rôle des multinationales dans la mondialisation économique et conséquemment dans l'écart qui s'accroît entre les riches et les pauvres doit nous interpeller. Voici l'exemple d'une filiale de multinationale au cœur des enjeux socio-politiques de la planète.

Le cœur de ce rapport qu'en font les deux commissaires se trouve dans les deux premiers paragraphes de la page 13. Selon les commissaires:
Il y a une "adhésion générale des participants à la proposition";
"la maximisation des avantages du projet Nordelec constitue l'enjeu principal de la consultation.

Ce sont les 2 arguments force du rapport.

En ce qui concerne l'idée d'adhésion générale du rapport la commission insiste 3 fois plutôt qu'une sur un terme qui n'a toutefois pas été utilisé par bon nombre d'intervenantEs soit que les intervenantEs sont d'accord avec le projet. Les commissaires en font une déduction et une interprétation à l'avantage du promoteur, des éluEs et des participants qui croient fermement qu'il s'agit d'un bon projet. Autrement dit, si on ne s'est pas prononcé clairement contre le projet on est présumé être favorable à celui-ci. Nous croyons que cela constitue de la part des commissaires une sorte "d'abus de langage".

Ainsi, il n'est donc pas surprenant dans la suite de l'analyse faite par la commission que les recommandations que l'on pourraient qualifier de claires sont rares et que l'utilisation du terme conditionnel dans les verbes représente tout au plus des souhaits. Nous dirions même des vœux pieux dans la conjoncture politique ou l'idéologie du profit, de la marchandisation et de l'économie domine le paysage.

Le logement social:

La première prise de position de la commission est de permettre la modification de la densité de l'Ilot C afin de réaliser 22 logements sociaux et abordables supplémentaires. Bravo, mais celle-là apparaît facile, consensuelle et logique. C'était presqu'une question technique.

Mais lorsque la commission évalue l'ensemble de la situation du logement à partir d'un "compte tenu des besoins à combler", les commissaires versent alors carrément dans l'incompétence. Non seulement, les commissaires tombent dans le traquenard de la politique d'inclusion municipale difficilement compréhensible, dénoncée d'ailleurs par l'ensemble des organisations logement à Montréal (les commissaires connaissent-ils le FRAPRU), mais ils maintiennent la confusion existante entre logements sociaux et logements abordables sur laquelle "surfe" abondamment promoteurs et politicienNEs. Visiblement ils n'on pas fait les devoirs minimums pour ne pas dire éthiques sur cette question cruciale.

La continuité du plan d'urbanisme

La densité: La commission fait une longue tirade sur cette question. Alors que la Table Action-Gardien démontre longuement, arguments et photos à l'appui, que la trame résidentielle proposée menace l'histoire non seulement de Pointe-Saint-Charles mais également de l'ensemble du Sud-Ouest, la commission argumente et s'appui essentiellement sur le propos d'une association de propriétaires dont l'argumentaire est essentiellement axé sur le respect du plan d'urbanisme puisque eux ils ont acheté en fonction d'un plan d'urbanisme X. La commission en rajoute en invoquant que le plan d'urbanisme est un "véritable contrat social" dans la communauté. Où étaient-ils ? Lors de la consultation à la "va vite" de 2003 organisée selon des critères douteux une poignée de citoyenNEs étaient dans la salle. Et…. les principales recommandations faites alors par la Table Action-Gardien ont tout simplement été rejetées du revers de la main sans explications. Comme contrat social ont a déjà vu mieux.

Ainsi, bien que la recommandation fasse en sorte de baissé de 8 à étages à 6 étages les bâtiments prévus dans l'Ilot B, et qu'il constitue un point positif, l'argumentaire de la commission reste en grande partie déficiente.

Les espaces verts: C'est dans la conclusion que la commission se prononce assez clairement en faveur d'un "espace vert public" plutôt que le parc semi-privé proposé par le promoteur. La commission ose ici se prononcer sur un enjeu urbain qui devient majeur petit à petit en Amérique du nord entre l'appropriation privée des espaces verts et l'appropriation publique de ceux-ci dans la foulée conservatrice d'une certaine dérive sécuritaire.

Pour le reste, des vœux pieux:

Que ce soit sur les enjeux du stationnement, de la pollution, du transport public, de la question du commerce local, de l'emploi à protéger, les propos de la commission demeurent au conditionnel.

Ainsi, dans sa conclusion "la commission recommande à la Ville de doter Pointe-Saint-Charles d'un plan de transport. Ce plan devrait intégrer l'ensemble des déplacements de tous ordres…" mais par ailleurs la commission écrit page 18 que "dans leur champ d'action respectif, l'arrondissement, la Ville et le promoteur devraient viser à favoriser les modes de déplacements alternatifs". Ce "devraient viser à favoriser" vient affaiblir considérablement l'opinion précédente de la commission.

On retrouve donc un partout des conditionnels du genre: "il serait souhaitable", "l'arrondissement aurait dû", le chantier du Nordelec pourrait avoir un impact", "il serait avantageux de poursuivre ces pistes", "l'arrondissement devrait en profiter pour étudier", "si l'arrondissement décidait d'exploiter pleinement", etc.

Un rapport ça permet de rester sur le terrain politique

Comme nous l'évoquions plus tôt, ce rapport est loin d'être impressionnant en terme d'analyse et laisse toute la marge de manœuvre à différentes interprétations plus contradictoires les unes que les autres.

Les résultats de cette consultation nous permettent de rappeler qu'une consultation publique, qu'elle soit bien ou mal organisée, demeure un moment de lutte sur les enjeux socio-politiques posés sur la place publique. À cet égard les manifestations de pression politique durant une période de consultation sont toujours susceptibles d'avoir des effets dans le rapport des commissaires.

D'ailleurs, le pouvoir politique municipal a bien cerné la situation en déléguant, au soir de la présentation le 16 octobre 2006, une dizaine de fonctionnaires et d'attachés politiques pour évaluer le niveau de contestation militante potentielle. Satisfaits d'avoir constaté que tout le monde était ''rangé'' gentiment, ils ne sont pas revenus par la suite. Il nous faut retourner ce manque de stratégie militante en notre faveur.

Ce qui nous apparaît le plus important c'est de retenir l'idée que la consultation publique n'est qu'une tranche ou une étape dans l'évolution de ce projet urbain. Il faut éviter de donner trop d'importance au processus de consultation et au résultat de la consultation. Rappelons que l'OPCM n'est que consultative et qu'à ce titre elle ne détient aucun pouvoir contraignant.

Même si l'Office de consultation publique de Montréal est une institution dite indépendante elle reste raccrochée idéologiquement au système politique montréalais. Comme je le soulignais dans un des comptes rendu du conseil d'arrondissement de septembre 2006, il faut avoir une confiance toute relative aux rapports des commissaires. Comme je l'expliquais dans une lettre au directeur général M. Luc Doray, les commissaires sont des humainEs, ils et elles ont leurs propres opinions politiques, leurs propres préjugés. En somme, ces personnes ne sont pas neutres. Conséquemment les opinions et analyses qu'ils et elles émettent ne sont pas neutres elles non plus. Et c'est ce que nous pouvons démontrer en analysant ce rapport.

Somme toute, si la commission n'a aucun pouvoir contraignant, tout revient sur le terrain politique. Tout peut être interprété et les éluEs politiques ne s'en priveront pas.

Il est encore temps de faire de ce rapport et surtout de ses suites, un outil d'action politique selon les perspectives que nous défendons. Et retournons la situation sur la base d'une action militante et en fonctions des besoins. Confrontons les éluEs et les promoteurs. Ce ne sont pas les sujets qui manquent.

Des enjeux locaux et des enjeux globaux sont soulevés et méritent qu'on en débattent ensemble:
o Le logement social versus les besoins de la communauté
o le parc privé versus le parc public
o le transport public, la sécurité piétonne, la santé et l'environnement
o le type de développement urbain qui agresse notre quartier
o la solidarité internationale face à une multinationale bien intégrée dans cette globalisation économique qui accentue les écarts entre la richesse et la pauvreté
o des élues au service de la puissance de l'argent

Ne rejetons pas ce rapport, faisons-en un outil de lutte pour le quartier.