Reportage de Marcel Sévigny - 22 octobre 2010.
Ayant été invité à faire quelques causeries politiques en Espagne lorsque nous songions à prendre des vacances, moi et ma blonde avons décidé d’y joindre l’utile à l’agréable. Nous avons été reçu chez un ami en Andalousie (province du sud de l’Espagne) où nous avons passé la moitié du temps de nos vacances. À l’invitation de Floreal Romero (que l'on voit ici au centre de la photo) , un ami espagnol, militant écologiste et libertaire, j’ai profité de mon passage dans le gîte de la ferme qu’il habite dans les montagnes pour aller parler de l’expérience historique et actuelle du mouvement populaire de Pointe-Saint-Charles ainsi que du petit et récent mouvement libertaire qui y est actif. En fait, je reprenais dans la présentation « power point » l’essentiel des propos de mon dernier livre « Et nous serions paresseux, résistance populaire et autogestion libertaire».
(photo de gauche, le gîte de la ferme où nous étions campé et la photo plus bas c'est la ferme)
Nous avons pu déguster des fruits biologiques (mangues,figues, etc.) cueillis des arbres presqu'à nos pieds ainsi que de délicieux avocats dont vous voyez une photo prise à 10 mètres du gîte et dont je me suis régalés.
Quatre causeries avaient été organisées dans 3 villes différentes (Séville, Malaga et Jerez de la Frontera) ainsi que dans le village de Martin de la Jara. Pour l’occasion j’avais préparé un petit diapo et Floreal me servait de traducteur vu que mon espagnol est à toute fin pratique inexistant. Une affiche (que l'on voit ici) avait été édité pour chacune des occasions, inspirée du diaporama de la présentation.
Ces causeries et les rencontres avec des gens, militantEs de gauche mais principalement anarchistes, m’ont permis de découvrir une réalité que l’on voit rarement lorsqu’on fait du tourisme traditionnel. Il y a le plus souvent un décalage énorme entre ce que raconte les manuels touristiques à propos de l’histoire et certaines réalités que vit le peuple tous les jours. C’est ce que j’ai pu constater sur les lieux.
L'Espagne possède une longue histoire humaine
Bien sûr, j’ai eu l’occasion de visiter des villes dont l’architecture ancienne nous replonge au Moyen-Àge.
À Caceres par exemple, (dont on voit une rue ci-contre) où le centre de la vieille ville du treizième et du quatorzième siècle est admirablement conservée.
On peut facilement remonté encore plus loin dans le temps avec l’époque de la civilisation arabe (dont on voit ici un exemple d'architecture et de décoration) qui a dominé le sud de l’Espagne durant quelques siècles.
Mais, une fois passé cet engouement initial sur ce qui reste de tangible de l’histoire du passé (l’architecture et l’art), la curiosité, qu’elle soit culturelle, sociale ou politique, nous pousse à observer ce qui s’y passe aujourd’hui.
Une Espagne bien ancrée dans la société capitaliste
Par exemple, dans certains endroits de la campagne andalousienne ont peut voir des concentrations de centaines d’éoliennes. Cela montre que le Québec, malgré son énorme potentiel de cette énergie alternative, est totalement en retard. Mais, de me souligner mon interlocuteur écologiste, ces stocks d’éoliennes et ces talles de panneaux solaires plantés dans la campagne cachent le fait qu’elles sont essentiellement la propriété d’entreprises privées qui n’y voit qu’un moyen d’accélérer la croissance de l’énergie disponible pour faire fonctionner la société de marché capitaliste.
On peut se dire la même chose lorsqu’on est face à des rangées d'oliviers à perte de vue sur des dizaines et des dizaines de kilomètres. On a vraiment l’impression que l’Espagne s’est engagé dans la monoculture des olives, ce qui peut signifier une tendance vers l’appauvrissement de la diversité et de l’autonomie alimentaire du pays. Et tout ça comme me le soulignait Floreal, cette culture industrielle continue de se faire avec des pesticides qui contaminent les nappes phréatiques.
Lorsqu’on arrive en Andalousie en cette période de l’année on est frappé par deux choses, un paysage très montagneux et une végétation brûlée par le soleil. Cela influence évidemment la vie politique et sociale ainsi que toute l’organisation de l’espace autant dans les villes que dans les campagnes.
Voilà pourquoi ont peu voir dans les vieux centre-ville ces rues étroites pour empêcher le soleil de chauffer le sol (ici une de ces rues étroites où même la voirie municipale a dû adapter la largeur des camions pour vider les poubelles)
Un autre aspect de cette relation avec un soleil qui brille plus de 300 jours par an sont bien ces célèbres villages blancs accrochés dans les montages.
La révolution espagnole, un sujet tabou
Pour les gens qui ont une sensibilité de gauche, la révolution espagnole en 1936-39, au cours de laquelle le mouvement anarchiste fort d’environ 1.5 million de membres actifs, constitue un point de repère majeur pour ceux et celles qui luttent pour l’égalité et la liberté. L’Andalousie était la deuxième province espagnole avec le plus de membres dans les organisations anarchistes en 1936, soit 500 000 selon Floreal, dont un grand nombre dans des associations de quartiers et de villages.
Mais, de me raconter Floreal, cette histoire exceptionnelle de mobilisation populaire et de lutte vers l’autogestion collective reste tabou et n’est pas enseigné dans les écoles. D’ailleurs, des comités de citoyens s’activent toujours pour exiger une sorte d’enquête historique sur les massacres de militants et de militantes anarchistes et de gauche qui ont duré de nombreuses années après que le dictateur Franco a écrasé la résistance du peuple espagnol en 1939. D’ailleurs le père de Floreal a été maintenu durant 3 ans dans les prisons de Franco avant de pouvoir se réfugier en France.
Si le mouvement anarchiste espagnol a été affaibli considérablement durant la dictature de Franco (1939-1975), les racines très profondes du mouvement ont tout de même permis à cette philosophie politique de la liberté de subsister et aujourd’hui de continuer de s’afficher, principalement à travers le syndicalisme.
(Les locaux du syndicat anarchiste CGT à Jerez de la Frontera)
Accueil chaleureux
Malgré la barrière du langage, j’ai reçu un accueil chaleureux et attentionné de mes hôtes lors des causeries. Ma présentation était courte, environ 20 minutes, car elle devait être traduite au fur et à mesure, ce qui rallongeait inévitablement la séance. Appuyé par un diaporama déjà traduit en espagnol, les gens pouvaient plus facilement imaginer une partie de la réalité du quartier Pointe-Saint-Charles.
À chaque endroit (sauf à Séville) la rencontre se déroulait dans les locaux de la CGT espagnole locale, un syndicat anarchiste. Cela m’a paru étonnant par exemple de voir dans le village de Martin de la Jara (environ 2 500 habitants) que la CGT possédait son propre local et une petite librairie. À la fin de chaque présentation il y avait quelques questions et commentaires puis ensuite la dynamique enchaînait vers une discussion se essentiellement en espagnol dans la salle et entre la salle et mon traducteur qui avait bien assimilé le contenu de la présentation suite à nos échanges.
Les gens présents étaient surtout en contact avec les organisations syndicales. D’ailleurs dans le local de la CGT, dans la ville de Malaga, une effervescence militante était perceptible lorsque nous y sommes passés car on était à moins d’une semaine d’un appel à la grève générale prévue pour le 29 septembre. Après la causerie nous nous sommes arrêtés dans un restaurant à l’invitation du syndicat CGT et où un journaliste, de la « barricada de papel » (barricade de papier en français), le journal de la CGT, en a profité pour m'interviewé et par la suite faire un article paru dans le mensuel syndical.
Alameda un quartier en lutte de Séville
C’est à Séville que s’est tenue la 4ième causerie. Elle a été précédée d’une visite dans le quartier Alameda où des luttes sociales se mènent et où quelques militants libertaires y sont impliqués. Nous avons visité un centre social installé dans un bâtiment de 2 étages dont la municipalité a tenté d’évincer les locataires du 1ier et 2ième étage
(le Centre social vu de la cour intérieure et de l'état délabré du bâtiment)
Aujourd’hui, une partie des locaux du rez-de-chaussée est occupé par des groupes de défense des émigrés, du droit au logement et de solidarité internationale entre autres.
(Une des fenêtres du Centre social)
Maintenant la bataille se mène pour faire rénover les logements aux étages autour d’une organisation collective de gestion.
Après la visite et une pause tapas autour d’une bière, c’est une petite librairie indépendante, toujours dans le quartier Alameda, qui a accueilli la causerie.
L’assistance était nettement plus jeune et les questions et débats ont porté beaucoup plus sur les enjeux de mobilisation dans les communautés locales.
(Un moment de la causerie dans la librairie)
Un souper au resto et une visite à un spectacle de solidarité dans une cour intérieur du quartier a conclu la journée autour de 3 heures du matin.
Depuis 6 ans ils occupent un terrain
Le lendemain nous avons continué notre visite sur l’histoire du quartier et nous sommes allés aussi sur un terrain occupé depuis 6 ans par des habitants du quartier qui par leurs propres moyens et soutenu par le centre social ont organisé des jardins communautaires, un lieu de rencontre et de fêtes, un terrain de jeu pour les enfants et un cinéma en plein air.
À l’image de Pointe-Saint-Charles la vie de quartier est menacé par la spéculation et les promoteurs immobiliers et les luttes locales ont plusieurs points en communs avec notre réalité.
(On voit ici une coopérative de fabrication de chapeau dans le même quartier qui a été expulsé par la police)
On se rend compte que même si les rythmes de la vie quotidienne peuvent être différents, il semble que la spéculation immobilière exerce les mêmes ravages partout (expulsions de logements, loyers chers, etc.)
Retour à Madrid
Par la suite le retour s’est fait par la capitale Madrid ou la journée avant de partir, nous avons vécu sur place la grève générale qui s’est étendu à toute l’Espagne. On estime qu'il y a eu de 8 à 10 millions de grévistes cette journée-là contre la politique d'austérité du gouvernement socialiste espagnol de Zapatero.
Le quartier où nous étions était très animé et notre logement était situé juste derrière le siège social d’un grand syndicat et à quelques rues d’où partait la grande manifestation.
Déjà la veille de la grève générale des groupes de militantEs parcouraient les rues pour coller des affiches dans les vitrines , parler avec les clients et les tenanciers des cafés très nombreux dans le quartier. Nous avons vu en quelques endroits des commerçants locaux (cafés et autres) coller leurs propres affiches dans leurs commerces indiquant qu’ils supportaient la grève générale et annonçaient la fermeture pour le lendemain.
La journée de la grève nous sentions la différence un peu comme si c’était le dimanche. Une bonne partie des petits commerces sont restés ouverts et les groupes de manifestantEs s’assuraient cependant que les grandes chaînes de commerce soient fermés.
(Ci-bas, photo de la manif de Madrid tirée du quotidien de gauche Publico)
À la fin de la grande manifestation vers 21h, les cafés se sont remplis et nous sommes allez manger nos derniers tapas par une agréable soirée avant le départ du lendemain matin.
Sauf une journée le soleil a brillé tout le long avec des températures entre 25 et 32 degrés, l’été quoi! Lors de notre atterrissage à Dorval le 30 septembre, il pleuvait et faisait 11 degrés. Nous venions de revenir dans notre réalité.