Luttes urbaines : Victoire citoyenne à Pointe-Saint-Charles

Après cinq ans de lutte, les citoyens de Pointe-Saint-Charles obtiennent d’un promoteur immobilier et de la Ville de Montréal la cession à des fins communautaires d’un ancien bâtiment du CN.

Marco Silvestro
L’auteur est membre du Centre social autogéré de Pointe-Saint-Charles

Paru dans la revue Relations, no. 762, février 2013.

En 2003, la compagnie ferroviaire Alstom cesse ses activités sur le site de Pointe-Saint-Charles qu’elle loue au Canadien National (CN), où des ateliers ferroviaires existent depuis 125 ans. Deux ans plus tard, une lutte locale s’engage pour contrer la volonté des élites immobilières et étatiques de déménager le Casino de Montréal dans ce secteur, d’y établir un centre de foires et d’ainsi lancer le redéveloppement du secteur du havre de Montréal. C’était sans compter sur la pugnacité des résidants locaux qui réussissent, aidés de plusieurs alliés, à contrer le projet de casino – mais pas à empêcher la vente des terrains pour un dollar à l’un des plus gros promoteurs immobiliers de Montréal.

À Pointe-Saint-Charles, on a l’expérience des luttes urbaines et le mouvement communautaire est alerte. Dès la fin de la lutte contre le casino, une Opération populaire d’aménagement est mise en branle afin d’élaborer un plan d’ensemble pour le vaste terrain de 32,5 hectares. Le mouvement sait bien que le propriétaire demandera à la ville un changement de zonage, ce qui nécessitera des consultations publiques. Lorsque le moment se présente, les résidants du quartier sont prêts : ils ne veulent pas simplement être consultés sur un projet concocté par le propriétaire, ils ont un plan à proposer et exigent de faire partie du processus de planification urbaine. La ville cède, organise une consultation publique sur les projets possibles et forme ensuite un « comité de suivi » pour négocier l’aménagement du site.

Dans ce contexte de planification, déjà inusité en raison de la participation des acteurs locaux, apparaît, en 2009, le Collectif 7 à Nous. Formé d’organisations du quartier qui ont besoin de locaux, le collectif s’insère dans les négociations et réclame la cession gratuite, au profit de la communauté, d’un des bâtiments du site : l’ancien entrepôt numéro 7. Il s’agit d’un long édifice de deux étages totalisant plus de 8300 mètres carrés, situé à la frontière des habitations et de la zone industrielle et qui devait normalement être détruit. Mais les membres du Collectif 7 à Nous veulent y installer un café-bar, une brasserie artisanale, des ateliers d’artistes, une serre, un hall d’exposition et une salle de spectacles. D’autres espaces seraient disponibles pour des services locaux ou des projets culturels.

S’engage alors une lutte « d’expropriation populaire » qui utilise une diversité de tactiques concertées : l’action directe et la mobilisation sur le terrain, le lobbying auprès des autorités et la négociation directe avec le propriétaire. Cette stratégie – qui fait l’objet de nombreuses discussions internes au Collectif – s’avère finalement efficace : un an et demi après le début de ses actions, le Collectif réussi à faire insérer dans l’accord de développement l’obligation pour le propriétaire de céder le bâtiment à la communauté.

Dès lors, le propriétaire doit s’entendre avec le Collectif s’il veut obtenir son changement de zonage. Or, sa position s’est affaiblie depuis qu’il a acheté le terrain en 2005: des activités et des rénovations non réglementaires ont été effectuées sur le site, un incendie louche a détruit un bâtiment patrimonial, du camionnage s’est fait dans des rues résidentielles, le propriétaire a affiché sa volonté de détruire un parc, etc. Bref, il n’a pas bonne réputation dans le coin. Le Collectif tente donc de négocier la meilleure entente possible, toujours en poursuivant sa mobilisation. Finalement, en octobre 2012, presque quatre ans après sa demande, une entente est signée pour la cession du bâtiment : le propriétaire décontaminera les lieux, cède le bâtiment au Collectif pour un dollar et lui donne, en plus, un million de dollars pour en effectuer la rénovation.

Fin octobre 2012, le conseil de ville de Montréal entérine l’accord de développement pour l’ensemble du site, incluant l’entente pour la cession du bâtiment 7. Grâce à cette lutte qui, finalement, dure depuis la fermeture d’Alstom en 2003, le quartier a évité un développement récréo-touristique clinquant, mais il a surtout été capable d’influencer fortement un projet immobilier d’envergure. Les gains se traduisent par une proportion accrue de logements sociaux (25 % des logements construits), l’absence d’habitations de luxe, des espaces verts importants, un zonage qui exclut l’industrie lourde, la conservation du caractère ferroviaire et public d’une partie du site, et, bien sûr, la soustraction d’un bâtiment à la logique capitaliste. Le quartier et ses organisations y gagnent aussi en liens tissés, en expérience de lutte et en confiance partagée.

On peut donc dire que la boucle se boucle : les ateliers du CN, ancienne fourmilière humaine, font place aux Ateliers 7 à Nous; et de la construction ferroviaire, on passe à la construction communautaire.