Marcel Sévigny ou l’histoire d’une plante vivace sur un tas de fumier

Par Marco Silvestro

Article publié originellement dans Le Couac, vol. 5 no. 2 (nov. 2001), p. 8.

Marcel Sévigny est un exemple rare et précieux de politicien « par défaut » qui n’a jamais caché ses penchants libertaires. Un outsider qui a utilisé la politique représentative et le RCM afin de faire avancer la cause de son quartier, Pointe-Saint-Charles. Un homme qui n’aime pas l’exercice du pouvoir et la démagogie, encore moins lorsqu’ils sont concentrés dans les mains des mêmes personnes. Et c’est pour démontrer que la gauche n’a jamais été au pouvoir à Montréal et que l’action politique du « mouvement social » montréalais est sclérosée qu’il prend la plume. Ayant décidé de ne pas se représenter aux élections de ce mois-ci, il nous offre en quelque sorte son testament politique.

Il trace d’abord un bilan assez sévère de son passage au RCM : « L’essentiel du pouvoir est resté aux mains des promoteurs et d’une poignée de politiciens et de technocrates [...] En somme, l’évolution de la ville et de ses quartiers depuis 1986 a fort peu subi l’influence des gens qui y habitent, mais beaucoup celle de personnes qui veulent y réaliser des profits ». Pourtant, le RCM est né des mouvements urbains qui, entre 1965 et 1985, ont secoué la ville et le régime Drapeau avec des demandes répétées de démocratisation de la gestion municipale. Comment se fait-il qu’il n’ait pu faire changer les choses?

Principalement parce que le successeur de Drapeau fut un technocrate qui a fait du RCM une « machine à gouverner » et n’a réalisé à peu près aucun des objectifs du programme du parti. Sévigny avait adhéré au RCM en 1986 sur la base de celui-ci, le trouvant prometteur sur le plan de la démocratisation et du développement local. Il ira de déception en déception jusqu'à ce qu’il en quitte les rangs en 1992.

Dès les premiers mois d’exercice du pouvoir, en 1987, Sévigny voit que le RCM se transforme en parti traditionnel et que la gauche municipale commence à virer à droite. Il ne pardonne pas à Jean Doré de cacher derrière un style verbo-moteur le discours néolibéral qu’il tient devant les chambres de commerce et les grosses entreprises. Il lui reproche d’avoir pris le RCM en otage en centralisant la décision pour ensuite s’arroger le droit de prendre des positions contraires à celles de sa base populaire.

Le maire Doré laisse ainsi tomber le transport en commun et la protection de l’environnement, tandis qu’il se prononce pour le libre-échange et que, devant la commission Bélanger-Campeau, il envisage la réduction drastique des programmes sociaux pour ajuster la « métropole » à ses partenaires internationaux : « Il y a un prix à payer pour s’associer au mouvement d’intégration des marchés ». C’était en 1991; trois ans plus tard, le nouveau maire Pierre Bourque enchaine à son tour sur l’air de « Montréal, ville du monde ». Depuis, Sévigny constate la faiblesse de la gauche montréalaise, malgré le signe encourageant du score de Paul Cliche dans Mercier. On sent alors une certaine lassitude chez le vieux routier.

Sévigny, en localiste convaincu, déplore la déliquescence des rapports sociaux de proximité. Il a vu le milieu communautaire issu des différents quartiers montréalais s’embourber dans un collaborationnisme normalisateur avec l’État québécois. Il a vu les identités de quartier s’affaiblir devant la gentrification et la gestion technocratique. S’appuyant sur les projets de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire élaborés par Murray Bookchin, Sévigny propose alors que les relations quotidiennes de proximité constituent la base d’un renouveau de la politique communautaire. Il aimerait que se créent dans les quartiers des instances politiques autonomes qui agiraient comme contre-pouvoirs face à l’État central.

L’idée est de réaliser par la base ce qui ne peut être fait par le haut. En associant en conseil de quartier les organismes communautaires, les citoyens et les élites locales, un rapport de force avec le pouvoir central peut s’établir. De même, il devient possible d’adopter des propositions progressistes garantes d’une meilleure qualité de vie comme la réduction de l'utilisation de l’automobile, la promotion du cyclisme, la protection de l’environnement, etc.

Le projet proposé par Sévigny est, certes, invitant et même souhaitable. On voit bien que Sévigny voudrait que Pointe-Saint-Charles redevienne le centre de gravité du militantisme urbain qu’il fut dans les années 1970. Ce n’est pas impossible, bien que ce projet aille à l’encontre de la dynamique des fusions municipales. Souhaitons que l’adage selon lequel nul n’est prophète en son pays soit infirmé dans le cas présent.

Marco Silvestro

Marcel Sévigny, Trente ans de politique municipale. Plaidoyer pour une citoyenneté active, Montréal, Éditions Écosociété, 2001.