L'Immobilisme, ce mal qui nous ronge

« L’Institut de développement urbain du Québec (IDU) est heureux de vous présenter cette conférence sur un sujet chaud qui nous touche beaucoup dans notre industrie : l’immobilisme. […] Alors que les citoyens sont souvent interpellés et brandissent le pas-dans-ma-cour, alors que le gouvernement refuse de simplifier les procédures d’approbation des projets, les promoteurs immobiliers doivent pourtant continuer de réaliser leurs projets afin de rentabiliser leurs investissements tout en composant le plus efficacement possible avec cette nouvelle dynamique socio-économique qu’est l’opposition et l’immobilisme. »

C’est ainsi qu’a débuté la conférence Immobilier vs. Immobilisme, le 14 novembre dernier dans un chic hôtel montréalais. Lors de ce petit-déjeuner à 130$, d’influents personnages sont venus conseiller des promoteurs immobiliers fort intéressés à faire passer leurs projets. La présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) est venue résumer leur étude sur l’échec des gros projets de développement (le Suroît et le casino, ben sûr). Vedette du matin, le surabondant, surexposé et surestimé Alain Dubuc est venu donner son humble opinion. Une consultante en « approche systémique de construction de consensus » est venue se têter une job en présentant sa méthode de lubrification sociale. Finalement, le maire de l’arrondissement Ville-Marie, Benoît Labonté, a fait le politicien et n’a rien dit de significatif.

Immobilisme… Nouveau buzz word pour l’analyse du « cas Québec », le « phénomène » est surtout intéressant parce qu’on ne sait toujours pas ce que c’est exactement. La communauté d’affaire pointe la lourdeur des appareils d’État et le refus du changement des populations locales. Les capitalistes du Fonds de la FTQ affirment que ce sont les leaders politiques qui ont peur de l’échec. Le croque-mitaine Bouchard dit qu’on est trop paresseux, Alain Dubuc dit qu’on manque de vision et qu’on met trop d’émotion dans nos débats publics, le Conseil du patronat dit que c’est la faute de tout le monde sauf des patrons, etc., jusqu’à plus soif.

Une chose semble certaine : ça se propage. Selon le sondage de la FCCQ, 66% des Québécois et 75% de la communauté d’affaires sont totalement ou plutôt d’accord avec cette « vision des choses » : « Depuis quelque temps différentes personnes ont déploré publiquement le fait que le Québec souffrirait d’immobilisme, c’est-à-dire que plusieurs grands projets qui auraient été bons pour le Québec ont été bloqués ou retardés sans raisons valables. Êtes-vous totalement d’accord, plutôt d’accord, plutôt en désaccord ou totalement en désaccord avec cette vision des choses ? » (je souligne).

Ce matin-là, c’est quand même Alain Dubuc, délégué de Power Corp., qui aura le plus longuement défini l’immobilisme. Selon lui, le phénomène repose essentiellement sur la multiplication des processus démocratiques et la résistance au changement : « de façon générale, on peut le dire sans exagérer, on est devenu une société où les prises de décision sont difficile, où les choix sont laborieux. Parce que les débats sont plus lourds qu’autrefois, parce que les processus démocratiques sont plus présents et parce qu’il y a une grande résistance au changement. » De plus, « les gens sont plus éduqués, ils sont habitués à participer et ils n’acceptent plus aussi facilement les solutions et les vérités des autres. »

Selon lui, la création de richesse doit être un « objectif fondamental », parce que notre province est « pauvre en investisseurs » et que nous devons absolument favoriser les grands projets privés, publics et PPP, « qui créent un effet d’entraînement ». Montréal et le Québec doivent sortir du « cercle vicieux » du manque de vision et de courage. En cela il reprend un autre résultat du sondage de la FCCQ : 43% de la population indique comme cause de l’immobilisme le manque de volonté politique. Dans le cas du Suroît et du Casino, pour reprendre ces exemples, exercer de « la volonté politique » aurait donc voulu dire aller à l’encontre de l’opinion d’à peu près tout le monde.

Pour conseiller le troupeau de promoteurs, Dubuc leur propose sa stratégie des 3C : comprendre, composer et combattre. Les promoteurs doivent comprendre qu’ils ne sont pas ici dans la société idéale : « je crois que le Québec vit une situation particulière. Nous avons des valeurs qui nous sont propres qui font entre autres qu’au Québec, si on compare avec le reste de l’Amérique du nord, il y a une méfiance certaine envers les activités du secteur privé. […] Quand on parle de promoteur, en partant, il y a une connotation critique. » Les promoteurs doivent aussi réaliser que le Québec a évolué, qu’il « est normal que […] les gens qui sont affectés par les projets veuillent s’exprimer et aient leur mot à dire et expriment leurs inquiétudes. » Merci, Alain, d’informer tes disciples à propos de la démocratisation.

Composer signifie accepter les nouvelles règles du jeu, accepter le « développement durable » et prendre l’opinion de « toutes les parties prenantes, pas seulement les actionnaires ». Ça c’est quand même pas mal comme conseil. Mais il y a une chose qu’ils ne semblent pas comprendre. Une chose plus fondamentale que juste écouter l’opinion des parties prenantes et offrir quelques ajustements mineurs aux projets. Le problème, c’est que les promoteurs, la plupart du temps, sont des étrangers à la communauté qu’ils cherchent à « développer ».

Prenons l’exemple du groupe El-Ad, groupe israélien qui investit partout. Il achète l’Hôtel Plaza à New York et veut le transformer en condos. Tout le monde chiâle. C’est normal, il vient toucher un bien culturel important. El-Ad investit aussi à Montréal. Il est propriétaire du Village Olympique et de quelques autres bâtiments, notamment l’ancienne usine Northern Electric à Pointe St-Charles. El-Ad voudrait construire un paquet de clapiers de luxe sur les jardins et les pelouses du Village olympique. Y’a jamais personne d’El-Ad qui a vécu ne serait-ce qu’une journée complète à cet endroit et ils veulent le transformer en profondeur. C’est normal que les résidents des alentours ne soient pas d’accord de perdre toute leur verdure et voir augmenter drastiquement la densité de population.

La situation est semblable à Pointe St-Charles : le groupe veut transformer un bâtiment industriel et construire autour de 1500 condos, dont 150 dits « abordables ». Un centre commercial, des stationnements et un parc semi-privé viennent avec ça. La Pointe compte 6000 logements, plus ou moins 13 000 personnes. On rajouterait avec ce projet 20% de plus, soit autour de 2500 personnes des classes aisées qui viendraient s’établir assez subitement dans le quartier. C’est du colonialisme. Et ils pensent s’en tirer en « consultant les parties prenantes ».

Comme troisième conseil, Dubuc leur a vanté le combat : « L’ouverture, ce n’est pas de la passivité, c’est une autre façon de faire les choses, mais qui doit reposer sur une agressivité nécessaire, parce que sinon il n’y aurait pas de progrès.» Les promoteurs représentent « la majorité silencieuse » favorable aux grands projets : clients, employés et bénéficiaires potentiels. Ils doivent donc parler fort et beaucoup, parce « qu’en général les préoccupations de développement sont majoritaires chez les Québécois et que cela vaut la peine qu’on les défende ». Preux chevaliers, debout! Aux armes! À la défense de la Richesse contre l’Opposition illégitime. En effet, cette dernière « exprime souvent des projets politiques, des agendas politiques, et dans ce cas-là ce ne sont pas des débats entre des promoteurs et des citoyens, mais plutôt des visions différentes de la société qui s’affrontent. Et quand on a un débat politique, il est normal qu’on mette ses culottes et qu’on défende notre vision de la société. »

Voilà : c’est politique. Nous ça fait longtemps qu’on a compris ça! Maintenant tout le monde est au courant : c’est une lutte politique contre l’autoritarisme et le colonialisme du pouvoir financier.

M. Confit de CANARD FIGÉ de la POINTE

- Les citations sont tirées d'un enregistrement audio de la conférence.

- Cet article est paru dans Le Couac, vol. 10 nos 3-4, déc.06-jan.07.