La flamme de la justice ne s'éteint pas à coups de matraque

Fin juin à Toronto a eu lieu l'une des plus grosses opérations de répression politique de l'histoire récente du Canada. Encore plus d'arrestations que la Crise d'octobre en 1970, encore plus de machines de guerre et de “robocops” que lors de la Crise d'Oka ou du Sommet des Amériques à Québec en 2001. Plus de mille arrestations – et ça continue; des accusations de complots, de possession d'arme, de méfaits; des mensonges éhontés, du “criage-au-loup”, des abus de pouvoir, des coups et blessures, du profilage social et politique, des menaces, des appels à la dénonciation, bref: de la chasse aux sorcières en bonne et due forme.

Pourquoi les dirigeants agissent-ils de la sorte? Pourquoi déployer cet armement digne de science-fiction? Pourquoi frapper aussi fort? C'est que quand des groupes organisés commencent à déstabiliser le rond-rond du système en place, l’État capitaliste cherche à conserver son pouvoir et intervient de trois manières différentes pour ramener l’ordre, “son” ordre.

Étouffer pour mieux régner

La première stratégie – la cooptation – vise les groupes les moins contestataires, ceux qui sont ouverts à discuter avec les dirigeants des solutions aux problèmes de ce monde – les grandes organisations environnementalistes, certains syndicats, ONG et groupes de pression Ces groupes sont invités à s’asseoir à la table de négociation avec les autres acteurs – incluant des représentants des grandes entreprises– afin de s’entendre sur les pansements à poser sur les bobos causés par le capitalisme : pauvreté, pollution, pandémies, guerres, crises économiques. Pour les dirigeants, il s’agit surtout d’apaiser l'ardeur des défenseurs de la justice sociale – la logique étant que si ces derniers participent à la recherche de solutions, ils seront moins portés à les critiquer et qu’une fois quelques plasters posés, les victimes du système, ayant moins mal, s'apaiseront. Les organisations cooptées sont aussi plus susceptible d'intégrer la logique et le discours de ceux qui les ont cooptés.

Qu’arrive-t-il quand des organisations refusent cette logique? Quand elles persistent à s'opposer et s'organisent pour dénoncer les écarts grandissants entre les riches et les pauvres, la violence faite aux femmes, la colonisation des autochtones, la destruction de la planète, l'impérialisme guerrier ou, tout simplement, font la promotion des droits humains? La deuxième stratégie est alors utilisée: la marginalisation. Par exemple la grande manifestation “Peoples First” à Toronto fut complètement marginalisée: entièrement encadrée, éloignée du périmètre de sécurité, tournant littéralement en rond, elle fut ignorée des dirigeants et des médias de masse. Les ONG et syndicats qui l'ont organisé n'ont pas pu se faire entendre, ni de la société ni des dirigeants. C'est comme si elle n'avait existée... Les dizaines de milliers de personnes qui y participèrent se sentent flouées, frustrées et, surtout, démobilisées. “Pourquoi continuer à lutter si mes actes n’ont aucun impact, si personne n'écoute?” Très rationnel comme raisonnement! Objectif atteint pour l’État.

La troisième stratégie est celle réservée pour les mouvances, comme la nôtre, qui tentent, lorsque les occasions s’y prêtes, de démasquer la face “cachée” du capitalisme. Ce sont les organisations qui pensent que la justice sociale pour toutes et tous est impossible au sein du système capitaliste. Qu’on ne peut pas convaincre les dirigeants de changer les choses, qu’il faut plutôt les contraindre à le faire ou, encore mieux, changer les fondements de ce système politico-économique générateur de souffrances. C’est dans cette logique que ces organisations mettent des bâtons dans les roues du système en utilisant des tactiques perturbatrices.

L’État ne peut tolérer l’existence de ces organisations qui ont le potentiel de le déstabiliser et de convaincre, par leurs actes, de grands pans de la population à se joindre à elles. L’État sent bien cette menace: voilà un enjeu politique actuel pour l’État canadien. C'est pourquoi les « bras armés » de l’État répriment.

Car l’État a besoin d’un ennemi intérieur pour justifier et faire accepter l'augmentation faramineuse des budgets sécuritaires. Les anticapitalistes, les immigrant.e.s et les populations marginales sont des cibles privilégiées. L’État veut isoler les mouvances radicales et anticapitalistes des autres acteurs sociaux modérés et surtout prémunir la population en général de l’influence des idées anticapitalistes. Dans cette logique, l’État a besoin de faire étalage de sa force et de se protéger par un dispositif sécuritaire toujours plus imposant. Les forces de l’ordre espèrent, ce faisant, nous faire peur, nous intimider, casser le mouvement. Le premier commandement de l'Art de la guerre n'est-il pas d'intimider afin de ne pas avoir à combattre? Mais l'État et ses alliés capitalistes veulent aussi intimider l’ensemble de la population (en passant par ses alliés des médias corporatifs) pour que celle-ci accepte de bon gré un système plus répressif et une réduction des libertés garanties, en principe, par les chartes. L’État et les médias ne disent-ils pas à la population, en passant en boucle des images de destruction et de “terrorisme”, “regardez ce que sera la société s’il n’y a plus de police pour vous protéger”?

La force avec laquelle frappe l’appareil répressif est surtout une réponse à la peur que nos contestations provoquent chez ceux qui sont assis sur les trônes de ce monde - et ils veulent que les gens en aient peur eux aussi. C’est, hélas!, cette réaction qui marque la mince ligne qui sépare notre actuelle « démocratie » représentative de la dictature.

Nous sommes l'avenir

Ces manœuvres visant à nous empêcher de nous organiser nous placent en face d'un choix crucial: se laisser envahir par la peur et rester assis sur notre confort matériel et psychologique OU refuser de nous laisser intimider et sortir encore plus fort. Qu’arriverait-il si toutes les organisations qui luttent pour la justice sociale se mettaient en “mode dérangeant”? Si elles refusaient la logique de la cooptation? Si elles rompaient le dialogue? Si elles se tenaient, coude-à-coude, face à l’État rétrograde et à ses alliés capitalistes?
N'attendons pas que la situation devienne impossible. N'attendons pas que la société soit complètement dissoute dans l'apathie consumériste. N'attendons pas d'être parqués comme des animaux dans un zoo. Ne nous laissons pas avoir! Ne nous laissons pas mourir!

L’espoir est à l’intérieur de chacun.e de nous et aucune répression ne peut l'éteindre. Face à leurs tactiques de mort, nous sommes l'avenir, nous sommes le mouvement de la vie, irrépressible et imprévisible. Nous ne pouvons dépendre des dirigeants politiques et économiques pour trouver les solutions. Prenons les choses en main. Inventons notre monde meilleur en cohérence avec nos valeurs : justice sociale, aide mutuelle, égalité, liberté, dialogue et démocratie. L'organisation des opprimé.e.s a toujours fait peur aux dirigeants. Misons là-dessus, car nous sommes plus nombreux.euses qu'eux.

La seule lutte qu’on perd, c’est celle qu’on abandonne.

Collectif la Pointe libertaire
archive.lapointelibertaire.org
Le 22 juillet 2010