Quand l'habit fait le moine: profilage et exclusion sociale

INVITATION : 5 à 7 des Droits et libertés pour le lancement du bulletin sur les profilages, le 20 janvier 2011 au Bar Populaire.

Voir plus bas pour l'un des textes publiés dans ce bulletin

L’équipe de la Ligue des droits et libertés a le plaisir de vous inviter au 5 à 7 de lancement de son dernier bulletin dont le dossier principal porte sur le profilage discriminatoire (social, racial et politique) dans l’espace public.

Le dernier numéro du bulletin permet de poursuivre la démarche d’analyse et de réflexion entreprise lors du colloque « Le profilage discriminatoire dans l’espace public », organisé en juin 2010 en collaboration avec le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

QUAND ? : Le 20 janvier 2011 à partir de 17h00

OÙ : Au Bar Populaire (6584 St-Laurent, Montréal)


Quand l'habit fait le moine: profilage et exclusion sociale

A la fin des années 1990, la Ville de Montréal et la Fraternité des policiers et des policières de Montréal introduisaient d'un commun accord une clause dite “orphelin” dans la convention collective des policiers. De par celle-ci, les jeunes policiers embauchés ne pourraient jamais atteindre les mêmes avantages salariaux que leurs prédécesseurs. Ce type de clause fut introduit dans un certain nombre de conventions collectives avant d'être contestée devant les tribunaux et considérée comme discriminatoire.

Il ne s'agit là que d'un exemple qui montre comment peuvent s'introduire dans un modèle de solidarité (le syndicalisme) des clauses d'exclusion sociale. Cela est symptomatique des sociétés occidentales actuelles qui, après une période d'État-providence qui fonctionnait à la solidarité universelle entre citoyen-ne-s, passent à un modèle d'intégration sociale individualisée qui utilise deux seuls critères explicites – l'emploi et la contribution fiscale –, mais qui fonctionne en réalité à partir de plusieurs règles implicites: l'âge, la couleur de la peau, le statut social, le lieu de résidence, voire même le style vestimentaire, la culture ou l'opinion politique. La combinaison de ces critères révèle, dans plusieurs cas, comment s'articule l'intersection des différentes oppressions que subissent certain.e.s citoyen.ne.s.

Délit de faciès

Les récents débats sur le profilage ethnique ont fait ressortir clairement un fait que plusieurs relevaient depuis longtemps: il ne fait pas bon d'être issu d'une minorité ethnoculturelle dite “visible” lorsqu'on a affaire avec les autorités – la police au premier chef, mais aussi les institutions étatiques et celle du salariat. Les statistiques le montrent: les hommes à la peau foncée ont significativement plus de chances de se faire interpeller par la police sans raison légitime. Le chômage chez les jeunes d'origine arabe, créole ou africaine est disproportionné par rapport aux autres de leur groupe d'âge ou de même compétences.

On ne peut donc nier que dans notre société à majorité blanche et d'origine européenne, la peau foncée constitue un élément oppresseur pour ceux et celles qui la porte: du fait même de cette couleur de peau, les risques d'arrestation, de discrimination et de chômage augmentent. Devant cet état de fait, notre société en mal de bonne conscience est incapable de nommer le maître mot: racisme.

Quand l'habit fait le moine

De plus, obsédés comme nous le sommes par le conformisme (bien que le discours publicitaire nous parle de diversité et d'authenticité...), le vieux proverbe comme quoi l'habit ne fait pas le moine est largement mis à mal. Un récent exemple, patent et grossier, nous est donné par la répression policière lors du Sommet des G8 et G20 à Toronto en juin 2010. Des dizaines de personnes furent arbitrairement arrêtées pour des motifs d'habillement: toute personne vêtue de noir fut assimilée à un.e “anarchiste”, donc à un.e “casseur.e”, par conséquent suspecte et éligible à une interpellation, souvent musclée, et à un séjour en cage. On pourrait aussi amener l'exemple de la culture “hip-hop” et du style vestimentaire qui l'accompagne, rapidement assimilés au “gangsta rap” ou bien aux fameux “gangs de rue”.

Dans ce processus de profilage à la petite semaine, des personnes en situation d'autorité se permettent de réduire une sous-culture (le hip hop) ou une idéologie (l'anarchisme) à quelques traits facilement reconnaissables dans l'habillement. Tout autant que la couleur de la peau, la couleur de l'habillement ou son style conduisent à des erreurs de jugement aux conséquences potentiellement énormes. D'abord la présomption d'innocence est complètement évacuée. Ensuite, si on réduit le style hip hop au gangsta rap et le vêtement noir à l'anarchiste violent, on perd rapidement la notion de respect nécessaire à toute interaction entre une personne en situation d'autorité et une autre qui ne l'est pas.

Et lorsque la réduction de l'individu à son habillement s'accompagne d'un délit de faciès, watch out!

La jeunesse comme menace

Dans cette traque de la non-conformité, un élément m'apparaît central: la question de la jeunesse comme d'une menace à l'ordre établi. Autrefois on disait qu'il fallait que jeunesse se passe, excusant ainsi la turbulence et l'exubérance. Dans les années soixante et soixante-dix, la jeunesse, majoritaire comme groupe d'âge, avait les coudées franches. Aujourd'hui dans une société vieillissante dirigée par l'ancienne jeunesse du baby boom, il semblerait que les jeunes n'aient plus d'excuse ni d'influence de par leur nombre: ils et elles doivent s'intégrer à l'ordre moral dominant au plus vite, et les “erreurs de jeunesse” ne sont pratiquement plus permises.

Pourtant le discours publicitaire, libéral, affirme que nous vivons une ère de diversité, d'authenticité, de liberté. Liberté dans la conformité, oui! Car il semblerait que cette diversité et cette liberté ne soient que pour ceux et celles qui sont du bon côté du pouvoir – pouvoir politique, économique et démographique. Pour les autres jeunes, més-intégrés, immigrants ou dissidents, il faut rentrer dans le rang, suivre la règle, marcher au pas sous peine de bastonnade – au propre comme au figuré.

Conclusion

Il apparaît clairement que l'ordre moral actuel provoque des discriminations et des exclusions qui touchent certaines populations spécifiques. Cet ordre moral prescrit l'adhésion aux rapports salariaux et de consommation – quiconque n'y souscrit pas est a priori louche, inutile et potentiellement dangereux. De façon corollaire, les préjugés sur l'ethnicité, l'opinion politique, le mode de vie, l'orientation sexuelle et la religion renforcent cet ordre moral en lui donnant des populations précises à cibler.

Le “profilage” comme mécanisme de réduction des individus ou des communautés à quelques traits caricaturaux et facilement identifiables est la méthode d'application de cet ordre moral renforcé par les préjugés du groupe ethnoculturel dominant (ici les personnes blanches adultes d'origine européenne issues de la religion chrétienne qui ont un emploi et la possibilité de consommer). Le meilleur exemple de cette dynamique reste celle des médias de masse qui, sous prétexte de plaire à la clientèle, mettent en scène tous les préjugés, décrivent la réalité sur le mode caricatural et rapportent les faits en les alignant implicitement sur cet ordre moral.

Lorsque cet ordre moral, ces préjugés et leur méthode d'application sont largement partagés par le groupe ethnoculturel dominant, les personnes en situation d'autorité (policier, patron, propriétaire, fonctionnaires, etc.) se sentent généralement légitimes d'agir en fonction de ceux-ci. Lorsque des signaux clairs sont envoyés par les institutions sociales et économiques comme quoi cet ordre moral doit être appliqué, ceux et celles qui n'y correspondent pas sont fortement susceptibles d'être discriminé.e.s, exclu.e.s et réprimé.e.s.

Et pourtant, la discrimination est interdite par les chartes québécoise et canadienne des droits. Et pourtant, plusieurs plaidoyers, démentis et autres négations sont régulièrement lancé dans l'espace public pour dire qu'il ne s'agit pas d'un problème systémique mais plutôt des actes de quelques pommes pourries. Cependant les faits demeurent: exclusions et discriminations sont le lot de ceux et celles qui ne sont pas du bon côté de l'ordre moral et économique.

Marco Silvestro
Ph.D. Sociologie
Chargé de cours, UQAM
Collectif La Pointe Libertaire
archive.lapointelibertaire.org