"Il y a des jours que je ne comprends pas la différence entre le crime organisé et L'État."

"Il y a des jours que je ne comprends pas la différence entre le crime organisé et L'État. Pour moi, ça se ressemble et ça se confond."

Ces mots, rapportés par le journal Métro du 11 novembre, ont été prononcés par Paul Sauvé, l'entrepreneur en construction qui dénonce publiquement la corruption et la présence du crime organisé dans son secteur d'activité depuis un moment déjà, lors de la conférence de presse de lancement de son livre sur le sujet. Effectivement, les liens incestueux qui lient les deux univers ont de quoi semer la confusion.

Il faut comprendre que l'État est un phénomène qui est apparu il y a 500 ans environ. On en attribue l'origine à Philippe le Bel, roi de France, qu'on surnomme aussi le roi de fer (c'est tout dire). C'est lui qui réussit à faire arrêter simultanément partout en France des centaines de templiers en 1307, une espèce de purge "stalinienne" précoce. Pendant les siècles qui suivent, le pouvoir étatique se centralise de plus en plus autour de la personne du roi et se fait au dépend des autonomies locales et municipales, sauvagement réprimées. Entourés d'une poignée de ministres tirés de la haute noblesse, les rois se succèdent et se ressemblent, aussi tyranniques les uns que les autres dans une Europe constamment en guerre et menacée de famine.

Un système aussi fermé et autoritaire ne peut qu'engendrer une corruption généralisée. Après tout, quand on est au-dessus de tout, y compris des lois qu'on a soi-même promulguées, hé bien, la tentation devient rapidement assez importante... Cette corruption s'étend de plus en plus et sème la misère partout dans la population. C'est cette misère qui alimente les idées des lumières, qui engendreront finalement les révolutions qui secouent l'Europe aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Une de ces idées est qu'un gouvernement représentatif, élu par la population, éliminerait la corruption engendrée par la monarchie, puisque le pouvoir serait divisé entre plus de personnes, qui devraient garder la confiance de l'électorat pour demeurer en poste. C'est l'aube du libéralisme, sous lequel nous vivons toujours aujourd'hui.

Malheureusement, la représentation politique n'a pas éliminé la corruption, même si la gouvernance s'est améliorée en comparaison avec la monarchie absolue. En France, pendant la Révolution, Danton a sauvé la République, mais ce faisant il est devenu millionnaire... Dans le capitalisme naissant, l'argent achète tout, même les votes. Au Canada, on n'a qu'à regarder comment le chemin de fer a été financé par l'État au XIXe siècle, ou comment les gros bras de la construction s'assuraient que les gens votent "du bon côté" dans les bureaux de scrutin jusque dans les années soixante pour avoir des exemples hauts en couleur de la corruption moderne.

Après tout, une élection aux cinq ans et la séparation du pouvoir en branches exécutive, législative et juridique ne changent pas grand chose au problème fondamental de la corruption, qui découle d'un manque de transparence. Au bout du compte, que savez-vous des activités d'un.e ministre? Qui est-ce qu'il a rencontré aujourd'hui, le ministre des transports? À qui il a parlé? Le fait que plus de gens se partagent le pouvoir ne change rien quand les décisions se prennent derrière des portes closes. Tenter de "démocratiser" le régime représentatif n'y changera rien, d'ailleurs. Le scrutin proportionnel change la répartition du pouvoir entre les partis politiques, mais ne rend pas la machine transparente. Empêchez les réunions à huis-clos dans les bureaux de ministres et ils iront "jouer au golf" avec leurs amis.

La seule solution contre la corruption, c'est la transparence totale des institutions publiques, ce qui n'est possible qu'à travers une démocratie directe. La démocratie, le gouvernement du peuple par le peuple, c'est fondamentalement différent de la représentation, le gouvernement du peuple par ses élu.e.s. En attendant une telle démocratie, le gouvernement, qui est la tête de l'État, reste à la solde de la mafia et du 1% des plus riches, dénoncés par les indigné.e.s depuis plus d'un mois maintenant.

Par Pascal Lebrun
Pour l'Agence de presse libre de Pointe-Saint-Charles