Texte de SSF sur la mort de Farshad Mohammadi

Des membres de Solidarité Sans Frontière ont écrit une lettre ouverte parue aujourd'hui dans Le Devoir à propos du décès de Farshad Mohammadi, abattu par la police dans le métro au début du mois de janvier. Un texte intelligent que nous reproduisons ici ou que vous pouvez aussi consulter sur le site du Devoir.


Photo: Jacques Nadeau, Le Devoir

Marshad Mohammadi a été tué le 6 janvier par un policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui a tiré sur lui à plusieurs reprises dans une station de métro achalandée. Mohammadi, un sans-abri, se serait abrité dans le métro et aurait blessé un policier qui intervenait auprès de lui. Trois balles ont ensuite été tirées sur lui.

Cette mort brutale a précipité une avalanche d'appels quant à la nécessité d'augmenter le financement des programmes offerts aux personnes sans domicile fixe et ayant des problèmes de santé mentale. Les itinérants, avec ou sans problèmes de santé mentale, sont criminalisés et emprisonnés beaucoup plus souvent que le reste de la population. Les services qui leur sont destinés sont sous-financés ou tout simplement inexistants, alors que paradoxalement le financement gouvernemental destiné à soutenir les services carcéraux en croissance explose. Toutefois, d'autres réalités systémiques ont joué un rôle dans la mort de Mohammadi et doivent être explorées afin de comprendre ce qui s'est passé et, surtout, prévenir de telles morts dans le futur.

Climat de mépris

Un problème fondamental se cachant derrière la mort de Farshad Mohammadi est le profilage social fait par le SPVM, notamment dans le métro. Les agents de police harcèlent les personnes qui y cherchent refuge ou y dorment. Cela crée un climat de ressentiment et de mépris vis-à-vis de la police au sein des communautés marginalisées. Les circonstances dans lesquelles Mohammadi aurait blessé un agent de police avant d'être abattu demeurent floues. On peut quand même se demander pourquoi la police a jugé nécessaire d'intervenir auprès de Mohammadi dans un premier temps, alors que des témoins ont rapporté qu'il ne dérangeait personne.

Un deuxième problème, en lien avec le premier, est celui de la violence et de l'impunité des policiers. Depuis 1987, plus de 80 personnes sont mortes au cours d'interventions menées par des policiers à Montréal, y compris les morts controversées d'Anthony Griffin, Jean-Pierre Lizotte, Quilem Registre, Fredy Villanueva et, l'été dernier, Mario Hamel et Patrick Limoges, parmi d'autres. Pourquoi une force meurtrière a-t-elle été utilisée pour intervenir auprès de ces individus, parmi lesquels plusieurs étaient sans abri ou racisés?

Au Québec, entre 1999 et le 30 juin 2011, il y a eu 339 enquêtes portant sur des interventions policières ayant mené à des blessures graves ou à la mort. Des accusations criminelles ont été portées contre des agents à seulement trois reprises, et au moins deux des trois procès ont donné lieu à des acquittements! Cette impunité s'explique largement par le fait que les forces policières sont appelées à enquêter les unes sur les autres. Par exemple, c'est la Sûreté du Québec (SQ) qui mène l'enquête sur la mort de Mohammadi. Cette culture de l'impunité favorise l'usage d'une force démesurée pouvant entraîner la mort chaque fois que les policiers se sentent menacés.

Migrants à risque

Par ailleurs, la précarité associée au statut d'immigration est un problème criant dans notre système et contribue à la marginalisation des migrants. Plus précisément, Farshad Mohammadi était la victime du système de «double peine», une politique draconienne qui découle de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Cette politique stipule que les résidents permanents peuvent être déclarés «inadmissibles», se voir retirer leur statut et risquer l'expulsion si on leur attribue le qualificatif nébuleux de «grande criminalité». Les migrants qui n'ont pas obtenu la citoyenneté canadienne font face à une situation révoltante: emprisonnement ET expulsion, pour le même crime. Les migrants pauvres et racisés sont donc particulièrement à risque, étant donné que le profilage racial et le profilage social sont très présents à Montréal.

Mohammadi, un réfugié iranien parrainé par le gouvernement canadien, avait reçu la résidence permanente en 2006. Il a été reconnu coupable d'entrée par effraction et condamné à un jour de prison en 2009. Plus tôt cette année, Mohammadi a été déclaré «inadmissible» à cause de sa condamnation, même s'il a purgé sa peine. Arash Banakar, l'avocat s'étant occupé de son dossier d'immigration, croyait que l'ordre d'expulsion aurait pu être infirmé pour plusieurs raisons, dont le fait que l'acte criminel de Mohammadi ne comportait pas de violence envers un individu et qu'il a donné lieu à une sentence minimale. Malgré cela, selon Banakar, Mohammadi aurait été dans un «état de panique extrême» dû à la crainte d'être renvoyé en Iran — un état causé par les lois canadiennes en immigration. Nous pouvons seulement imaginer l'état d'esprit dans lequel il se trouvait au moment de l'intervention policière...

Pauvreté structurelle

Les réalités de la vie dans la rue, et les problèmes de santé mentale qui peuvent les accompagner, ont bien évidemment joué un rôle dans la mort de Mohammadi. L'itinérance est un problème, mais il n'est pas causé par les sans-abri eux-mêmes. Le problème, c'est que notre société fonctionne avec une économie qui permet, et encourage, l'accumulation asymétrique de richesses: la pauvreté devient structurelle, elle ne survient pas par hasard. Quelques personnes sont riches parce que plusieurs autres sont pauvres. C'est ainsi que les conditions qui créent l'itinérance et favorisent les maladies mentales peuvent exister. Les conséquences qui en découlent ne devraient pas être vues comme une surprise.

À la lumière de la mort de Farshad Mohammadi, on ne peut ignorer l'existence d'injustices flagrantes: l'itinérance, les détentions et les expulsions, le profilage et la criminalisation des communautés marginalisées, la violence et l'impunité policière. Tout cela doit prendre fin.

Dans une entrevue publiée récemment, une personne se présentant comme un ami proche de Mohammadi a déclaré que ce dernier espérait déménager à Ottawa pour commencer une nouvelle vie: malgré toutes les épreuves qu'il a endurées, il espérait encore avoir un meilleur avenir. Peut-être que l'ironie la plus cinglante dans le cas de Mohammadi est qu'il a fui l'Iran pour éviter la persécution et la mort? Il a plutôt connu les deux ici au Canada, un pays qui proclame être une société juste et libre. Juste et libre pour qui? Certainement pas pour les gens comme Farshad Mohammadi.

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Anne-Marie Gallant - Infirmière en santé mentale et membre de Solidarité sans frontières, Robyn Maynard - Auteure, travailleuse communautaire impliquée dans plusieurs groupes contre la violence policière et le profilage racial, et membre de la campagne Personne n'est illégal et Samir Shaheen-Hussain - Pédiatre, militant pour la justice sociale et membre de la campagne Personne n'est illégal