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Plus de 2000 militantEs libertaires renouent avec l’histoire, débattent, rêvent et s’inquiètent de l’avenirPar Marcel Sévigny St-Imier, dans les alpes suisses. St-Imier en Suisse, cela vous dit quelque chose ? Peut-être pas si vous ignorez que ce fût l’endroit où a été fondée l’Internationale anti-autoritaire. En effet, suite à l’expulsion des anarchistes de la 1ère internationale par les partisans de Karl Marx, les militants du socialisme libertaire, dont Bakounine et James Guillaume, fondèrent l’Internationale anti-autoritaire en septembre 1872 dans le bâtiment qui abritait à l’époque l’Hôtel de Ville de St-Imier. On voit ici l'ancien Hôtel de Ville de St-Imier
Dans cette ville, située à 900 mètres d’altitude dans les montagnes du Jura et à environ 150 kilomètres au nord-est de Genève, la Fédération anarchiste jurassienne était particulièrement bien implantée au cœur de l’industrie horlogère suisse. Presque 140 ans plus tard, plus particulièrement du mercredi 8 au dimanche 12 août 2012, lorsque plus de 2000 libertaires « ont envahi » durant 5 jours cette petite ville d’à peine 5000 habitantEs, il est certain que le va-et-vient constant sur et entre les 8 différents lieux de rencontre n’est pas passé inaperçu des résidentEs. Mais les tenues vestimentaires hétéroclites des militantEs où primait le noir, les attroupements et discussions spontanés au coin des rues ont eu l’effet d’animer la ville. À vue de nez, de 50 à 60% étaient des jeunes de moins de 30 ans, les autres strates d’âge diminuaient d’importance jusqu’à croiser quelques personnages dans les plus de 80 ans. S’il faut en croire les propos recueillis par certains médias auprès de résidentEs, cette concentration n’avait rien pour effrayer et une phrase entendue à la télé pourrait les résumer : « les anarchistes ont leurs idées, mais ce sont du monde comme les autres ». Mais tout de même pour nous libertaires québécoisEs et à titre de comparaison chiffrée, dans une ville qui fait la moitié de la superficie du quartier Pointe-Saint-Charles à Montréal, c’était impressionnant. Imaginons seulement l’effervescence et l’impact qu’auraient eu de 4 à 5000 militantEs en visite durant 5 jours dans notre quartier ? C’est à l’initiative de la coopérative culturelle Espace Noir de St-Imier, avec le soutien d’autres organisations anar que l’événement a pu se tenir. La coopérative culturelle Espace noir, qui a initié le rassemblement. Plus importante rencontre anarchiste depuis celle de Venise en 1984, celle-ci arrive-t-elle à point nommé ? C’est-à-dire au moment où la résistance à la mondialisation capitaliste n’a peut-être jamais été aussi nécessaire face à la logique du pouvoir étatique et du capital qui tentent d’imposer la marchandisation du monde jusque dans les plus infimes recoins de la vie sociétale et humaine. S’agissait-il là d’un moment particulier à saisir pour la mise en pratique plus large des valeurs et du projet d’émancipation défendus par les anarchistes ? Difficile à dire. Mais St-Imier m’a semblé être une sorte de photo de cette embellie pour les idées libertaires que nous ressentons dans nos milieux de vie et dans nos réelles capacités de les mettre en pratique. À St-Imier se sont retrouvéEs des participantsEs des quatre coins du monde. Il va sans dire, les européenNEs étaient les plus nombreuses, surtout françaisEs, allemandEs, anglaisEs, espagnolEs et italienNEs avantagéEs par les plus courtes distances. CertainEs venaient du Japon, de Chine, Bulgarie, Grèce, Argentine, Mexique, Tunisie…. D’ailleurs, une dizaine de militantEs magrébins ont été refoulés par le gouvernement suisse, attitude raciste, unanimement dénoncée par l’assemblée et qui a même eu des échos dans certains médias de masse. Étonnamment (est-ce parce que l’information n’a pas circulé dans les réseaux), je n’ai rencontré que 2 autres québécois, dont un militant de l’UCL invité avec un militant chilien à faire une intervention sur les grèves étudiantes. La programmation était étoffée et multiple. Tout ce beau monde pouvait se prévaloir de très nombreux concerts, des dizaines de films, expositions, présentations, débats et ateliers qui étaient offerts dans la programmation « officielle » en plus des initiatives qui se sont développées en marge. Les choix participatifs n’étaient pas toujours faciles à faire. Une rencontre d’une telle envergure a été une occasion de mettre en pratique les principes d’auto-organisation, notamment pour l’impressionnante organisation des repas collectifs. Inutile de décrire en profondeur l’ingéniosité requise pour nourrir 2000 personnes, tout ça à « prix libre », ou cette réelle capacité de laisser des espaces ouverts et non prévus pour la dissidence, la critique ou autre manifestation de la liberté individuelle et collective. On voit ici le hachoir de la cuisine, monté sur un cadre de vélo et servant à moudre divers aliments Il a fallu la présence de dizaines de traducteurs-trices bénévoles, là encore pas toujours facile à coordonner selon ce que nous avons perçu. À titre d’exemple, seule la grande salle pouvant contenir plusieurs centaines de personnes était pourvue d’un système de traduction simultanée. Ailleurs, la traduction chuchotée en 3,4 ou 5 langues dans des lieux regroupant 100 personnes n’était pas toujours facile à organiser dans la spontanéité. Un bilan, le plus exhaustif possible, avec toutes celles et ceux qui ont mis la main à la pâte de l’événement, serait un atout précieux pour d’autres événements à venir. Les organisateurs ont estimé le coût de l’événement à 100 000 euros. Un contenu exceptionnellement riche.Tous les sujets n’étaient pas là. Mais au total, de mon œil de participant, la rencontre internationale de l’anarchisme de St-Imier, a été plus qu’intéressante, passionnante à plusieurs égards et émouvante à l’occasion avec ses hauts et ses bas. Ce fut une occasion exceptionnelle d’écouter, de rencontrer et d’échanger malgré la barrière des langues, avec des anarchistes d’un peu partout, de serrer la main à des auteurs que je lis depuis plusieurs années, mais que je n’avais jamais rencontrés. J’ai aussi participé à quelques débats de haut calibre (c'est-à-dire où la réflexion poussée ouvre sur de nouveaux questionnements) sur des enjeux majeurs de notre époque (décroissance, émancipation, luttes populaires, violence/non-violence, projets alternatifs…). Dans d’autres salles ou assis sur le gazon d’un parc, ce sont surtout de jeunes militantEs qui échangent sur les luttes concrètes (squats, répression policière et étatique, liens des anars avec les mouvements sociaux, la vie dans les centres sociaux autogérés…). Et puis, toute cette effervescence se poursuit autour des repas collectifs, des tables de littératures ou simplement de ces ambiances chaleureuses autour d’une bière à discuter. Et que dire de ces moments émouvants lorsque 100 ou 150 personnes se mettent à chanter au son de la guitare et de l’accordéon des chants révolutionnaires (Bella Ciao, les anarchistes de Léo Ferré…) à l’agora d’Espace noir. Dans tout ce brouhaha, la conscience critique des libertaires était encore une fois au rendez-vous. Et que serait une rencontre libertaire de cette ampleur sans l’apparition de réunions parallèles, plus ou moins improvisées, en marge des rencontres programmées ou simplement pour pousser plus loin des débats coincés par le temps dévolu à la programmation. Une absence… que nous avons remarquéeLors de différents débats, de nombreux et nombreuses militantEs ont fait ressortir l’importance des pratiques anarchistes en liens avec les luttes des mouvements sociaux. Bien souvent, les situations invoquées faisaient état d’enjeux plutôt locaux (communes, quartiers, régions…) et, sans leur donner l’importance qu’ils devraient avoir, des rapports de force impliquant les structures de pouvoir local. Même en posant quelques questions pour amener des panélistes à préciser leur vision sur l’établissement de contre-pouvoirs ou de construction d’un projet politique, rares étaient ceux ou celles voulant engager la discussion sur une telle voie. Il m’est vite remonté à l’esprit le fait que nulle part n’était inscrite à la programmation de St-Imier l’idée du projet politique libertaire comme si on avait volontairement cherché à éviter ou éloigner un sujet trop litigieux. Moi et deux camarades suisse et espagnol avons été déçus de cette situation, déplorant du coup l'absence à l’agenda de St-Imier d'au moins un débat autour de l’écologie sociale, du communalisme (municipalisme libertaire) et des idées de Murray Bookchin, comme projet politique. Si nous, anarchistes, sommes assez solides sur nombre d’enjeux qui confrontent les sociétés d’aujourd’hui, on peut sentir une sorte de crainte d’avancer et de lutter à partir de propositions concrètes vers une transformation politique de la société. D’où vient cette peur apparente de nous tromper ? Il y a là un sujet que nous ne pourrons pas encore longtemps esquiver. Que la rencontre de St-Imier ne soit pas arrivée à une déclaration commune, comme le « prévoyait » le programme, n’est sans doute pas étonnant compte tenu de la nature même du mouvement anarchiste et de la conjoncture organisationnelle des libertaires. Lors de la dernière séance dans la grande salle bondée à craquer, nous avons eu droit à une déclaration de l’Internationale des fédérations anarchistes (IFA) qui a tenu son congrès de 5 jours à St-Imier ainsi qu’une déclaration du réseau Anarkismo.net. Mais c’est sans doute les 5 jours de débats, non mixtes, des anarcho-féministes et la volonté de cette Assemblée, de lancer une Internationale anarcho-féministe et la tenue d’un colloque dans 2 ans qui aura été politiquement le fait marquant de cette rencontre de St-Imier. chroniques politiques | inspirations d'ailleurs | 580 lectures
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