Ils ont voté et puis après

Par Marcel Sévigny - 10 septembre 2012 - Analyse

Nous avons appuyé sans réserve la grève étudiante. Les libéraux et Jean Charest en tête avaient fait de ce rapport de force une lutte sans merci avec le mouvement étudiant. Jean Charest, ses stratèges et les libéraux ont perdu leur pari. Chassés du pouvoir, il faut retenir des résultats de l’élection du 4 septembre que le mouvement étudiant a gagné une bataille contre le pouvoir politique et économique. Dans le contexte des suites de cette lutte et de la campagne électorale, le PQ n’aura d’autre choix que d’abolir la hausse des frais de scolarité et dans la foulée de la crise sociale l’abrogation de la loi 12 (78) et d’éliminer la fameuse taxe régressive de 200 $ sur la santé.

La trêve sera de courte durée

Au total, dans les mouvements sociaux, la victoire péquiste semble être une pause largement bienvenue face au rouleau compresseur du pouvoir capitaliste à Québec. Sans aucun doute, le préjugé favorable ne durera pas. Car l’élection du PQ, majoritaire ou non, ne change rien à la situation de fond. Elle ne garantit en rien la fin de l’asphyxie des services publics comme le souligne Marc Bonhomme dans son analyse des résultats. « L’objectif de l’atteinte de l’équilibre budgétaire pour l’année fiscale 2013-14 garanti par les trois partis néolibéraux » (PQ, CAC et parti libéral), reste en vigueur. À ce sujet, le relatif silence des centrales syndicales durant toute cette effervescence sociale du printemps érable n’est pas de bon augure pour la suite des choses.

Attendons-nous à ce que la vision néo-libérale péquiste s’enrobe d’un discours humaniste tout en subtilité surtout si la crise économique qui frappe l’Europe ne traverse pas l’Atlantique. Dans le cas contraire, ce qui devrait apparaître comme une haute probabilité, les masques tomberont.

Voilà pourquoi les mouvements sociaux (je pense en particulier à la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation, mais aussi aux embryons des Assemblées populaires de quartiers) doivent non seulement maintenir la vigilance, mais d’or et déjà évaluer comment mettre en œuvre la grève sociale sur des enjeux précis qui frappent le monde de plein fouet.

Dans ce contexte, la revendication de fond en faveur de la gratuité scolaire prônée par la CLASSE et soutenu par une partie significative de la gauche pourrait devenir le nouveau combat à la fois réel et symbolique de la lutte pour la protection et l’élargissement des services publics. Ne minimisons pas le fait que la marche est haute. Mais il n'y a pas de détour possible pour bloquer cette droite politique qui n’a rien perdu de sa force. Cette dernière a tout de même largement gagné les élections avec près de 60 % du vote et on s’en doute elle cherchera à pressuriser le PQ.

Compter sur l’appui parlementaire, même si les 2 éluEs de QS y mettront toutes leurs énergies pour défendre les intérêts populaires et majoritaires, c’est se mettre un doigt dans l’œil. Il faudra pour tous ceux et celles qui veulent faire une trouée dans l’armure du capitalisme que la rue reprenne là où elle a laissé.

Les libertaires inquiètent la gauche anticapitaliste.

La joute électorale que nous venons de traverser a fait ressortir indirectement la présence d’un nouvel acteur, les libertaires. Ce n’est pas tant les discussions et les débats que j’ai pu avoir avec nombre de militants sociaux et politiques sur l’enjeu du vote stratégique, utile ou autre qui fut une sorte d’interpellation sur le choix des anarchistes. Encore que quelque-unEs s’étonnent plus qu’ils-elles ne s’inquiètent que les libertaires ne votent pas ou annulent la plupart du temps lorsqu’ils-elles se déplacent pour voter.

Alors, l’inquiétude vient surtout de militants intellectuels anticapitalistes. Ainsi, Marc Bonhomme (voir texte)
trouve que les « assemblées autonomes de quartier suscitées par les manifestations des casseroles dans lesquelles il faut s’investir pour qu’elles ne s’étiolent pas ou ne s’égarent pas sous une houlette par trop anarchisante. Aussi très présente au sein de la CLASSE, l’idéologie libertaire a tendance, en plus de laisser tomber la lutte électorale, de faire de la lutte de classe un absolu qui évacue la pensée stratégique donnant à la question nationale toute son importance si on ne la ratatine pas à ses seules dimensions constitutionnelle et linguistique, si importantes soient-elles. »
L’inquiétude de Marc Bonhomme est de deux ordres. La première est que «l’idéologie libertaire » provoque l’égarement et la seconde qu’elle ne tient pas compte de la question nationale. Sur la question nationale, l’auteur n’a pas tout à fait tort et les libertaires du Québec auraient intérêt à réfléchir plus profondément à la question.

Quant à Éric Pineault dans Presse toi à gauche (voir texte) celui-ci parle d’un appel abstentionniste, qu’il ne me semble pas avoir entendu. Il écrit « Il ne faut pas non plus le sous-estimer (le processus électoral), voilà pourquoi je ne peux suivre l’appel d’une "extrême gauche" abstentionniste. » Il fait peut-être allusion à la position de la CLASSE qui, sous l’influence des libertaires, a refusé de donner des consignes pour le vote électoral?

Pierre Beaudet (voir texte) est plus clair à cet effet lorsqu’il fait référence à la CLASSE qui a « adopté un discours relativement abstentionniste se réfugiant dans le paradigme de la « non-partisanerie ». Il pose la question « Que faire par rapport à la « religion » de la non-partisanerie qui prévaut dans le mouvement populaire et qui bloque le débat sur la nécessité de lier les luttes populaires et la bataille politique ? »

L’abstention partisane du mouvement communautaire, que je partage, n’est pas une religion, mais bien une position politique de longue date au Québec et cette conception est en lien avec la notion d’autonomie du mouvement communautaire face au Politique. En bout de piste, cela réfère à une conception de l’organisation et de la gestion du champ politique qui, en partie, n’est peut-être pas celle qui aspire à prendre le pouvoir d’État. Mais c'est une excellente question qui devrait faire l'objet d'un large débat.