Revue 2012

Revue 2012:


Grève étudiante, brutalité policière, changement de gouvernement et perspectives pour l'année à venir



Une revue de l'année qui se termine, c'est souvent classique au point d'en être kétaine, mais bon, l'année 2012 ayant réellement été particulière au plan sociopolitique, il me semble intéressant d'y revenir un peu. Je vais donc aborder les trois sujets hautement interreliés de la grève étudiante, de la brutalité policière et du changement de gouvernement au palier provincial pour tenter de dessiner ce qui nous attend en 2013.

L'année 2012 a connu un début assez raide avec le déclenchement d'un conflit étudiant qui s'est finalement développé comme le plus vaste et le long mouvement social de l'histoire du Québec, un mouvement qui "fêtera" bientôt son premier anniversaire. En effet, ces images, qui donnent bien le ton du conflit à venir, auront un an le 27 janvier prochain.

L'ampleur de la mobilisation a surpris tout le monde, à gauche comme à droite, et la grande question qui se pose est de comprendre ce qui s'est passé pour en arriver là. À gauche, cette question à 1000$ se décline de la façon suivante: "Comment le reproduire?", alors qu'à droite, j'imagine qu'on cherche plutôt à savoir comment l'empêcher d'éclore à nouveau. À mon avis, trois facteurs technologiques se sont combiné pour produire et alimenter une révolte aussi étendue: le téléphone cellulaire et la caméra numérique, youtube et facebook. Voyons voir.

Les caméras et cellulaires sont de plus en plus répandues dans les manifestations depuis un peu plus d'une dizaine d'années. Leur coût maintenant relativement abordable ainsi que l'exemple donné par les policiers qui y filment bien ce qui les arrange a permis et donné l'envie à plusieurs personnes de filmer les interventions policières, lors de manifestations ou non. Plusieurs cas se sont même rendus jusque dans les médias de masse et les concepts de brutalité policière et de profilage ont fait ou refait surface dans l'"opinion publique" depuis quelques années.

Tout ça a été rendu possible par youtube, qui permet à quiconque de publier gratuitement des vidéos. Car il ne suffit pas de filmer une bavure policière pour créer un scandale; il faut encore que l'image soit diffusée et youtube fournit un moyen simple, rapide et, surtout, hors de la portée des censures étatiques et médiatiques (du moins, encore pour l'instant). Il manquait par contre toujours un élément pour mettre le feu aux poudres, parce qu'on ne tombe pas souvent au hasard sur ce genre de contenu sur youtube; il faut savoir ce qu'on cherche et vouloir le trouver.

C'est facebook qui est venu changer la donne. Comme dans le monde arabe l'année précédente, le média social est devenu un important moyen d'échange d'information et d'organisation pour la population. L’interconnexion des différents réseaux personnels qu'on y observe a sans doute grandement contribué à faire voir la brutalité policière, que les médias de masse taisent pratiquement toujours, en dehors des cercles déjà mobilisés. Pères, mères, tantes, oncles, frères et soeurs ont donc pour la première fois pu se faire une idée de ce qu'avait l'air une manif en dehors du filtre déformant des médias de masse. C'est fondamental. Il y a toujours eu de la brutalité policière à l'encontre des mouvements sociaux radicaux, mais sous l'effet des médias de masse, elle est généralement perçue comme une réaction normale et légitime de la police face à une violence manifestante, même à gauche. Ce court-circuit, ce mensonge, s'est fêlé au printemps pour la première fois en plusieurs décennies.

On n'a qu'à comparer cette grève avec celle de 2005 pour voir la différence. En 2005, les groupes radicaux ont rapidement été marginalisés par quelques exactions isolées montées en épingle par les médias, si bien que la FECQ et la FEUQ, même pas en grève, on négocié seules la fin du conflit, à rabais.

Cette année, après deux mois de blocage gouvernemental et de matraquage réactionnaire, une brutalité politique qui coûte un oeil à un jeune déjà au début mars, les violences étudiantes prennent vers la mi-avril une ampleur jamais vue en 2005, si bien que même l'antiémeute aguerrie du SPVM a subi des défaites parfois cuisantes face à la foule en colère. Pourtant, et malgré le jeu de la vierge offensée du gouvernement et des médias, la population ne s'est pas unanimement tournée contre le mouvement étudiant. Au contraire! De plus en plus de personnes de tous âges et de tous milieux ont commencé à prendre position en sa faveur et à affluer dans les manifestations. Le mouvement s'est élargi, avec comme point culminant l'adoption de la loi 78, au point où on a pu parler d'un "printemps québécois" plutôt que d'une simple grève étudiante. Des idées comme la grève sociale et la démocratie directe se sont mises à circuler, parfois même jusque dans les médias de masse.

L’intransigeance du gouvernement et d'autres facteurs ont aussi sans aucun doute contribué à alimenter et élargir la mobilisation, mais il m'apparaît clair que la diffusion non censurée d'images de brutalité policière a permis de relativiser la violence étudiante au point de permettre un large mouvement de sympathie dans la gauche québécoise. La dure réalité du conflit, diffusée sans filtre médiatique, a fait ressurgir la ligne de conflit primordiale d'une société, la fracture fondamentale que représente le clivage gauche-droite et qui traverse toutes les catégories sociales, enterré depuis des années par la propagande radio-canadienne, desmarraisque et péladesque. L'opinion s'est massivement réorganisée autour de cette ligne de démarcation, permettant l'élargissement du mouvement.

Sans nul doute, c'est cette contestation qui a précipité la chute de Jean Charest et permis la formation d'un gouvernement péquiste aux élections de septembre. Ironiquement, elle a sans doute aussi contribué à consolider une partie du vote de droite au PLQ, qui a fait un bon score malgré les nombreux scandales de corruption qui lui plombaient l'aile. Une bonne frange réactionnaire semble avoir préféré voter pour la corruption et la mafia, tant qu'elles remettaient les jeunes "à leur place". Le mouvement de contestation épuisé par des mois de lutte, la victoire, même minoritaire, du PQ a sonné la fin de la mobilisation de masse. Il faut dire aussi qu'une partie importante du mouvement étudiant n'est pas radicale et même plutôt d’obédience péquiste. Quoi qu'il puisse advenir quant aux frais de scolarité, cette partie estudiantine considère probablement avoir gagné et qu'une nouvelle grève contre un gouvernement du PQ doit absolument être empêchée...

Pourtant, les gains sont jusqu'à maintenant plutôt ambigus. La hausse a été annulée, mais seulement jusqu'au sommet de l'éducation, dont on ne sait pas encore ce qui va en ressortir, et au prix de coupures, d'abord tenues secrètes, dans les universités. La quasi-totalité des promesses progressistes péquistes a pris le bord dans les premières semaines de gouvernance. En fait, le budget Marceau est à peu de choses près un budget libéral, c'est-à-dire néolibéral, saupoudré de quelques aspects souverainistes, comme une légère hausse du budget de la culture et la fermeture de la centrale de Gentilly. (Non, cette fermeture n'est pas une décision environnementale; elle vise essentiellement à couper l'herbe sous le pied au gouvernement fédéral dans son projet de dépotoir nucléaire pancanadien sur le territoire québécois, dont le peu de légitimité tient au fait que le Québec dispose d'un réacteur. Ce dépotoir représenterait un lourd passif pour l'État québécois lors d'éventuelles négociations sur sa souveraineté avec le fédéral...)

Au mois d'août, il m'est arrivé à quelques reprises de me faire engueuler parce qu'en tant qu'anarchiste, je n'allais pas voter. Aux vues de résultats si mièvres, je ne peux pas m'empêcher de rire en repensant à ces discussions agitées. Désolé de le dire comme ça, mais on vous l'avait dit de ne pas voter PQ...

Si on revient à l'élection elle-même, elle a pris fin dans le même climat de tension que le conflit social lui-même. En fait, c'est carrément pire. Lorsque ses gardes du corps se sont rués sur Pauline Marois pendant son discours de victoire, tous les commentateurs de TVA ont dénoncé une violence étudiante. Pourtant, à l'extérieur, un homme, de droite disons-le, équipé d'un fusil d'assaut et de bombes incendiaires a tué une personne, en a blessé une autre et à mis le feu à un édifice avec l'objectif de tuer la première ministre avant d'être arrêté. On doit le nombre aussi peu élevé de victimes à la simple chance; son arme s'est enrayée au premier coup de feu. C'est sans contredit le pire geste de violence politique à survenir au Québec depuis le massacre du caporal Lortie.

Pourtant, l'événement passe presque inaperçu. On ne sait encore presque rien du tireur Richard Bane, de son séjour à l'hôpital, de son idéologie et de ses motivations. Au printemps, les Richard Martineau et les Stéphane Gendron ont crié au meurtre à chaque vitrine cassée, à chaque ralentissement de la circulation. Un meurtre, ça, c'est de la vraie violence, grave, significative. Pourtant, silence des médias, presque total, alors qu'ils n'ont pas dérougi de l'automne à l'encontre du mouvement étudiant. À droite, on préfère, et on s'arrange pour que la violence reste associée à la gauche...

Alors, à quoi s'attendre pour les mois à venir? Un gouvernement minoritaire nous permet de croire que des élections seront de nouveau à l'agenda ce printemps, dès que le PLQ se sera choisi un chef, en fait. Le résultat risque de ne pas beaucoup changer en termes de votes obtenus par les différents partis, mais comme les scores étaient très serrés l'automne dernier, il n'est pas impossible que le pouvoir change encore de mains. Dans tous les cas, le programme néolibéral "d'austérité", c'est-à-dire de déconstruction des appareils de partage de la richesse, n'est pas pour disparaître de sitôt. Dommage qu'autant de gens aient encore cru qu'un vote pour le PQ ferait une différence. Pour la première fois de ma vie, cet automne, j'ai accordé une certaine crédibilité à la "stratégie du pire" marxiste-léniniste. La victoire du PQ a achevé un vaste mouvement de contestation de l'organisation actuelle de la société, au sens large, mais sans apporter de solution réelle à nos problèmes. Je me suis presque dit qu'il aurait peut-être mieux fallu que le PLQ reste au pouvoir...

Dans tous les cas, l'étendue du mouvement du printemps 2012 est une victoire en soi, pour le mouvement étudiant autant que pour la gauche en général. Des graines y ont été semées, aux plans stratégiques et idéologiques, des graines qui germeront à nouveau lorsque les conditions seront propices. Avec tout ce que le néolibéralisme nous réserve encore, on peut certainement croire qu'il y a de bonnes chances qu'on revoit un tel mouvement de contestation émerger dans les années à venir. En attendant, je vais continuer à m'évertuer pour convaincre la gauche traditionnelle que de voter péquiste n'est pas une solution...

Par Pascal Lebrun
Pour l'Agence de presse libre de Pointe-Saint-Charles