ASSÉ de se faire avoir! Boycotter le Sommet, décision stratégique.

par Anna Kruzynski

L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) a annoncé qu’elle ne participera pas au Sommet sur l’enseignement supérieur puisqu’elle clame que la position qu’elle défend, la gratuité scolaire, a été évacuée d’avance par le gouvernement. Pierre Duchesne, comme le rapporte Radio-Canada le 14 février dernier, n’a pas hésité à critiquer vertement le choix, de l’association combative, de souscrire à la « politique de la chaise vide », ajoutant qu’ils « vivront avec les conséquences de leur décision ». De fait, si l’ASSÉ réussit à ignorer les commentaires qui jailliront sans aucun doute dans les jours à venir et qui auront pour objectif de marginaliser sa position, et qu’elle continue de bâtir un rapport de force dans la rue, il est fort probable que des analystes, un an plus tard, diront que sa décision controversée a été la bonne.

Car participer à un tel processus de « bonne » gouvernance, c’est souvent se tirer dans le pied, surtout pour une organisation qui travaille à un monde meilleur, basé sur d’autres valeurs que celles qui animent nos sociétés capitalistes avancées. Nos gouvernements, qui voguent depuis une trentaine d’années sur la mer houleuse du néolibéralisme, sont confrontés à un double pétrin. D’un côté, la misère semble s’accroître et devenir plus visible. D’un autre, les chefs d’État font face à une pression alarmante à réduire leurs dépenses sociales. Ce cocktail explosif est le terreau de la contestation grandissante au sein de ladite « société civile » dans les pays du Nord.

Les acteurs étatiques mettent donc en place des stratégies pour maintenir la stabilité, pour contrôler la contestation. Comme nous l’avons vu au printemps dernier, les acteurs étatiques n’hésitent pas à utiliser menaces, surveillance, intimidation et répression pour contrôler les éléments qu’ils jugent trop subversifs. Pour calmer les ardeurs des électeurs et électrices dont la fibre humaniste serait trop vibrante, ils utilisent les médias de masse pour fabriquer un climat de peur, tout en tentant de marginaliser ceux et celles qui osent contester l’ordre établi.

Mais la pierre angulaire de la stratégie, c’est la bonne gouvernance; ici au Québec, c’est le Parti Québécois qui gagne le prix d’excellence en la matière. C’est avec le Sommet économique de 1996 qu’on a eu l’occasion de voir ce concept en action, à grande échelle. Furent convoqués à la grande messe, les acteurs importants de la société civile, dont notamment les syndicats et, pour la première fois de l’histoire du Québec, le milieu communautaire. Après des heures de discussion ont émergé plusieurs « consensus », dont celui du déficit zéro et de son corollaire, la réduction des dépenses étatiques. Malgré le fait que plusieurs organisations ont claqué la porte avant la fin du Sommet, ne voulant pas être associées à des décisions qui renforceraient le néolibéralisme au Québec, le mal était fait. Le gouvernement péquiste de l’époque, sans aucun scrupule, à surfer pendant des mois sur ce supposé consensus et l’a utilisé, non seulement pour redorer son image auprès de son électorat, mais surtout pour procéder avec des coupures impopulaires.

Les pratiques de bonne gouvernance se discutent au sein des institutions financières mondiales depuis le début de l’ère néolibérale. Disons, en quelques mots, qu’il s’agit d’inviter les acteurs de la société civile à participer formellement au processus de développement économique et politique. Donc, les acteurs de la société civile deviennent partenaires stratégiques dans la création des conditions politiques qui sont nécessaires à la mise en application de réformes structurelles impopulaires. Et, puisque les acteurs sont assis côte à côte avec les décideurs, ils se sentent contraints à ne pas trop critiquer les décisions qui sont prises, ce qui contribue à les éloigner des stratégies de confrontation et d’action directe qui leur permettrait de remettre en question ces mêmes décisions, ces mêmes structures.

Le choix de l’ASSÉ de boycotter le Sommet, et de continuer la mobilisation dans les rues, en est un qui est raisonné, rationnel et stratégique. En choisissant de maintenir son autonomie, elle pourra exprimer ses positions sur la place publique et donc participer au débat, libérer des tentatives de cooptation du gouvernement Marois. Les organisations qui se sont fait avoir en 1996 seront sans doute les premiers à rappeler que les Sommets, comme l’État, sont fait de relations sociales. Que les politiques publiques sont le résultat des rapports conflictuels avec les différents acteurs de la société dite « civile »; ceci a toujours été le cas, et sera toujours le cas. L’État doit composer avec les syndicats, les groupes communautaires, les entrepreneurs, les mouvements sociaux, les groupes religieux, les fondations privées, l’électorat, les médias de masse, etc. Il doit jongler avec les intérêts de tout ce beau monde; et ceux qui ont plus de pouvoir d’influence verront leurs intérêts satisfaits. Il est donc dans l’intérêt de toute personne qui rêve d’un monde meilleur, basé sur l’entraide, la solidarité, la diversité et la liberté, que l’ASSÉ soit « dehors ». Espérons que ces personnes, dont certaines seront assises autour de la table du Sommet péquiste, saurons reconnaître l’audace de l’ASSÉ et prendront le risque de soutenir ces jeunes et moins jeunes qui brandiront leurs espoirs dans les rues du Québec.

Le 17 février 2013