Derrière la façade du Village Grinffintown

Par Marcel Sévigny, 28 novembre 2007,

Un marketing efficace !

L'annonce d'un investissement de 1.3 milliard$ du groupe Devimco dans l'ancien quartier Griffintown n'est pas passé inaperçu dans le Sud-ouest. Mais à peu près personne n'avait à redire. Au contraire, nos éluEs pavoisaient devant la manne potentielle des entrées fiscales dans les coffres de la Ville, du nombre d'emplois créés durant et après les travaux,


seules critiques sur le projet (dont on voit la maquette ci-contre) sont venues des commerçants de la rue Ste-Catherine et du Quartier des spectacles. Pas de quoi fouetter un chat finalement. Du Sud-Ouest, rien en vue, tout semble au beau fixe. Il faut dire que le promoteur Devimco a bien fait ses devoirs contrairement à l'attitude arrogante de Loto-Québec dans un passé pas si lointain. Des ententes sont mêmes déjà signées avec le RESO (employabilité), l'ETS (subvention de 1 million$ pour une Chaire de recherche en environnement durable) et la Ville (10 millions$ pour le tramway du Vieux port vers le centre-ville) et ce avant même les consultations officielles. À l'évidence, Devimco a employé une stratégie de marketing efficace à tous les niveaux y compris auprès de certains acteurs du Sud-Ouest. Voyez! Le promoteur, qui s'apprête, en dernier lieu, à faire une tournée générale des milieux communautaires du Sud-Ouest avec des spécialistes de la médiation, a eu 14 rencontres préalables avec des intervenants et spécialistes économiques du Sud-ouest et de Montréal pour bien ficeler le projet. Et en plus, cadeau des dieux, pas de population dans Griffintown susceptible d'organiser quelque mobilisation. Tout est parfait.

Que pourrons donc trouver les "chialeux", tel les militantEs de La Pointe Libertaire, pour critiquer un projet aussi extraordinaire ?

Si nous avons pu attaquer facilement le projet de Loto-Québec par son maillon le plus faible (le casino), rien de tel avec le Village Griffintown. À première vue il ne semble pas y avoir de véritable carence dans ce projet. Très bien ficelé avec une description tout à fait cohérente, cette proposition constitue un ensemble alléchant au premier coup d'oeil. En fait, si on le compare au projet Nordelec, projet de quelque 310 millions$, ce dernier est d'une fadeur absolument consommée par rapport au Village Griffintown. Mais si on regarde derrière la porte on pourra découvrir quelques angles permettant la critique de ce projet colossal. Et là on arrive dans le débat de fond. Ce que nous n'avons pas pu sérieusement aborder dans le cas du projet Loto-Québec. Regardons du côté des intérêts poursuivis par les promoteurs et les dirigeants politiques, prenons l'angle de la justice sociale sur le dossier logement (aménagement urbain) et celui des considérations écologiques.

Éventuellement, nous allons faire une analyse plus approfondie dans un texte beaucoup plus fouillé. Pour l'instant, nous allons nous contenter de poser quelques regards tout en rappelant certaines considérations d'ordre politiques et économiques.

Village Griffintown, le visage de la mondialisation économique

Depuis 1994, nos deux derniers maires, Pierre Bourque et Gérald Tremblay, l'ont affirmé sans aucune ambiguïté. Le développement de Montréal, qui passe essentiellement par l'aménagement urbain, c'est l'affaire du privé. Une telle prise de position peut paraître anodine entre autre parce qu'elle n'a jamais été questionnée à travers les médias. Mais, la concrétisation de cette affirmation s'étale lisiblement dans plusieurs documents et politiques de la Ville centrale le document "Imaginer-Réaliser Montréal 2025" constitue le socle. En gros, ce document est une vision urbaine de la mondialisation économique en cours.

Ainsi, Devimco le promoteur du Village Griffintown, c'est le réalisateur du tout premier "Lifestyle Center" au Québec, une sorte de centre commercial à ciel ouvert aux allures de centre-ville et nouveau temple de la consommation moderne. Devimco nous propose rien de moins qu'un second "Lifestyle Center, mais cette fois-ci non pas en terrain vague comme le projet DIX30 sur la rive sud, mais dans un milieu déjà urbanisé. En promoteur intelligent il a façonné son projet avec quelques fonctionnaires municipaux sous la bienveillance directe du maire Tremblay. Nous pouvons même constater à cet égard l'évolution du projet Devimco depuis un an et demi sur le site internet de… la Ville de Montréal.

Devimco a conclu des ententes et des promesses d'achat avec des dizaines de propriétaires de bâtiments industriels dans un milieu spéculatif, sous l'effet du développement de la Cité multimédia et de la Cité internationale qui jouxte le territoire du Village Griffintown. Afin de rentabiliser les effets de la spéculation, la densification des lieux devient alors absolument incontournable et doit alors être à l'image de ce qu'est le centre-ville actuel, (des bâtiments entre 8 et 20 étages), y compris des dizaines de magasins, deux hôtels, une salle de spectacle, etc. Autrement dit, rien à voir avec un quartier convivial, à échelle humaine et de voisinage, incluant des services publics et services commerciaux de proximité. Et en passant, nous ne voyons pas vraiment comment une telle conception d'aménagement urbain pourra attirer les ménages avec enfants (2 ou plus), ceux là même qui fuient la ville pour s'installer en banlieue. Au moment de l'approbation officielle de la Ville de Montréal, le projet est tellement coulé dans le béton que la consultation publique (obligatoire pour la forme) sera assumée par l'arrondissement Sud-Ouest, dont les principaux fonctionnaires et les éluEs sont couchéEs devant les promoteurs depuis 5 ans. À moins d'une surprise, la discussion se fera sur des technicalités, ce que le promoteur est déjà prêt à envisager.

Le Village Griffintown est en tout point conforme avec ce qu'à prévu la Société du Havre (création du maire Tremblay) à l'époque de la présidence du lucide Lucien Bouchard où grosso modo l'extension du centre-ville doit se poursuivre vers le sud, vers le fleuve avec un potentiel dit-on de 10 à 12 000 logements et…. vers Pointe-Saint-Charles. Le Village Griffintown est basé sur la dynamique du centre-ville (densité, consommation, spectacle). Voilà pourquoi le maire Tremblay jubile.

La justice sociale d'un tel projet ?

Sur l'aménagement du territoire considérons ici l'aspect particulier du logement (droit fondamental selon les chartes). Depuis longtemps les organisations de lutte sur le logement ont démontré le rôle non négligeable de l'habitation dans la poursuite de la justice sociale et de la lutte à la pauvreté. Voyons très brièvement ce qui semble se dessiner dans le nouveau village qui accueillera entre 6 et 8 000 personnes. Des 3 869 unités d'habitation prévues il y aura 1 439 condos dont les prix se situeront entre 150 000$ (3½) à 400 000$ (5½). 927 logements iront aux personnes âgées. De sont des projets privés avec services mais encore là très dispendieux. 585 iront aux étudiants de l'ÉTS. Enfin, on nous annonce selon la politique d'inclusion de la Ville, 472 logements abordables probablement en grande majorité en condo. Ces logements sont accessibles pour des ménages dont les revenus se situent entre 50 et 70 000$ annuellement. Et finalement 437 logements sociaux (11.3% du total). Mais il faut diviser ce dernier nombre en logements sociaux abordables (pour être généreux disons 50%) dont le coût du loyer est fixé à 95% du loyer du marché. Et le reste, des logements subventionnés, environ 220 pour des ménages à faible revenu. Un tel scénario parle de lui-même. Le droit fondamental au logement soumis à la logique du marché ne peut pas constituer une perspective de justice sociale. Le Village Griffintown est une Xième démonstration de ce cul de sac. Par contre, il sera fort probablement perçu et encensé par l'ensemble des commentateurs (journalistes, urbanistes, protecteurs du patrimoine, responsables de développement économique et dirigeantEs en économie sociale comme un modèle d'intégration urbaine.

Quelques considérations écologiques

À première vue, lorsqu'on jette un œil sur la description du projet, tout concourre à dire qu'il s'agit d'un projet exemplaire de "développement durable", ce concept fourre-tout à la mode. Et le responsable du développement durable au comité exécutif de la Ville, Allan De Sousa, ne se prive pas de pavoiser. Conservation de 12 bâtiments, obtention du critère LEED, toits verts, choix de matériaux écologiques, contribution de 10 millions$ pour le tramway. On ne dit mot sur aucune énergie alternative. Mais au fond, rien de bien détaillé n'est présenté dans ce projet, ce qui nous empêche de porter une évaluation sérieuse des intentions environnementales. Par contre, un chiffre qui jette un éclairage précis. Il y aura 5 000 places de stationnement souterrain selon le journal La Presse du 23 novembre 2007 (bizarre ce n'est pas mentionné dans le document Devimco). Avec le stationnement sur rue on pourra loger 6 000 automobilistes soit le même nombre qu'au complexe DIX30. Le hic c'est qu'on ne verra presque pas ces autos. C'est le concept du développement durable du maire Tremblay pour lutter contre les GES.

Il n'est donc pas étonnant que le Maire n'ait pas présenté de proposition concrète d'amélioration du transport collectif et du transport actif. Tout est laissé au promoteur et celui-ci en profite pour nous faire une proposition banlieusarde. D'ailleurs, la première phase de rénovation de l'autoroute Bonaventure avancée par la Ville et qui s'intègre dans le projet Devimco, prévoit passer de 6 voies à 8 voies de circulation plus deux autres voies pour permettre les virages à gauche. Les boulevards urbains ont désormais plus de voies que les autoroutes. Tout se tient, un projet qui va concentrer 8 000 nouveaux consommateurs, dans une ambiance de consommation et de spectacle et basé sur l'utilisation de l'automobile. Beau programme.

Les impacts attendus dans la Pointe

Quelques dizaines de mètres sépareront physiquement le quartier Pointe-Saint-Charles du nouveau Village Griffintown. Mais la frontière physique du canal de Lachine a depuis longtemps été traversée dans la tête du Maire et des développeurs. À part des embouteillages causés par une augmentation substantielle du trafic automobile dans nos milieux résidentiels nous ressentons déjà les effets de la spéculation. Rappelez-vous les dernières augmentations des rôles d'évaluation. Le Sud-Ouest est champion montréalais toute catégorie avec 61% de hausse, près du double de Westmount (35%) juste en haut de la côte. Nous avions, dans un texte antérieur, expliqué comment le fardeau fiscal du deuxième arrondissement le plus pauvre à Montréal s'alourdissait alors qu'il diminuait pour les plus riches. Transfert de richesse ! C'est le modèle de la mondialisation économique appliquer sur le territoire montréalais. Quelle action le pouvoir politique prend-il pour protéger les résidentEs moins fortunéEs des effets de la spéculation ? RIEN, ZÉRO.

Les promoteurs semblent avoir le champ libre vers le fleuve et pensent même pouvoir piétiner Pointe-Saint-Charles. L'enjeu reste entier du côté sud du canal. Le Redpath est déjà réalisé. Dans le non respect de l'histoire du quartier, le projet de 1200 logements du Nordelec (densité de centre-ville) et de ses 1 500 places de stationnement a été accepté par les autorités municipales. Mais quelques dizaines de personnes n'ont peut-être pas dit leur dernier mot.

L'enjeu c'est la résistance contre la prise de possession de notre quartier par le capital immobilier et par conséquent la lutte contre la disparition du quartier sociologique que constitue Pointe-Saint-Charles. Depuis longtemps, les descendantEs des ouvriers de Griffintown sont disparuEs sans faire beaucoup de bruit (il reste peut-être une cinquantaine de logements dans le secteur). Mais ici, il nous faudra trouver la force et la dignité pour affronter le pouvoir de l'argent, rien de moins. Et ce pouvoir de l'argent, ce pouvoir de domination peut être habilement dissimulé à l'occasion, comme en fait foi le Village Griffintown.