Casino… une victoire populaire impressionnante ! Analyse des intérêts en jeu.

Quel renversement ! Le 10 mars, moins de 24 heures après le dépôt du rapport Coulombe sur le projet de Centre de divertissement international, Loto-Québec retirait son projet de plus de 1 milliard$.

L’objectif principal de cette lutte mené par la Table Action-Gardien de Pointe Saint-Charles, soit le retrait du projet de déménagement du casino vient tout à coup d’être atteint. Pendant un court instant c’est la stupéfaction parmi les membres du comité CN-Casino, puis rapidement s’installe une joie profonde. Le projet de déménagement du casino à Pointe Saint-Charles est bel et bien battu.

Comme dirait l’expression populaire, David a vaincu Goliath. Mais dans la société d’aujourd’hui, lorsqu’on regarde les protagonistes sur le terrain, l’apparence des intérêts de classe se profile très clairement dans ce dossier d’aménagement urbain. D’ailleurs, le 5 mai 2005, La Pointe libertaire montrait les intérêts politiques et économiques qui étaient en jeu en publiant une analyse. Le collectif militant concluait qu’il fallait battre ce projet anti-social et anti-écologique(1).

Entre mai 2005 et mars 2006 la controverse sociale et politique, animée par le comité CN-Casino de la Table Action-Gardien, s’est installée et il s’est accumulé une littérature impressionnante sur le conflit, amplement suffisante pour écrire un livre. Ce qui dénote, en passant, l’activité presque incessante des militantEs de Pointe Saint-Charles impliquéEs dans cette bataille. C’est donc un résumé de cette formidable lutte populaire et des intérêts en jeu que nous retraçons dans cette deuxième analyse.

LES TERRAINS DU CN CÈDENT LE PAS AU CASINO

Après la prise symbolique en 2004 des terrains des anciens ateliers du Canadien National (CN), par la Table des groupes communautaires Action-Gardien et près de 150 personnes, le débat au sein des forces sociales du quartier a tourné autour d’une stratégie d’intervention auprès de l’arrondissement Sud-Ouest. Comment s’assurer que les 3.5 millions de pieds carrés et les vastes ateliers désertés par la compagnie Alsthom ne soient tout simplement pas cédé au profit des promoteurs privés et que les besoins , notamment en logement, puissent répondre aux intérêts du quartier ?

Mais petit à petit au tournant de l’année 2005, les informations autour du projet de déménagement du casino de Montréal, de l’Île Notre-Dame vers le quartier Pointe Saint-Charles, se précisaient davantage. Le casino, prévoyait-on, serait intégré dans un vaste complexe de divertissement récréotouristique qui comprenait également un Centre de foires commerciales, qui lui s’installait justement sur les terrains du CN tant convoités. À l’hiver et au printemps 2005, la Table Action-Gardien avait mobilisé les citoyens-nes du quartier soit à travers des assemblées publiques soit par des rencontres avec des citoyens-nes préoccupés de ce qui se tramait autour du CN. Petit à petit la question du casino est venue submerger l’enjeu des terrains du CN qui fut relégué au second plan. La volonté des gens poussait de plus en plus fort dans le sens d’entreprendre une mobilisation plus générale et plus ciblé contre ce qui s’en venait, c’est-à-dire le projet de casino. C’était d’ailleurs ce qui s’est passé à l’assemblée publique du 19 mai 2005 et c’est dans ce sens que s’exprimait la position des militantEs de la Pointe Libertaire.

LE FLAIR DE LA POINTE LIBERTAIRE

ImpliquéEs dans ces débats et poussant afin que le dossier casino devienne la priorité d’action à court terme, les membres de la Pointe Libertaire qui sentait venir l’annonce plus ou moins imminente du projet de déménagement du casino, décidaient de faire le point au mois de mars 2005 et de continuer à organiser des activités de manière autonome sur cet enjeu. Deux objectifs étaient visés : soit accélérer la préparation et la prise d’initiatives par le milieu pour contrer le déménagement du casino et deuxièmement briser la logique d’intervention urbaine prôné par le Regroupement économique et social du Sud-Ouest (RESO). Sur ce deuxième objectif nous y reviendrons plus loin.

La publication et la diffusion de notre analyse au début du mois de mai, visaient à cerner la situation des acteurs impliqués autour de la question du casino et de montrer les différents intérêts de classe en jeu. Parallèlement, la Pointe libertaire décidait également de préparer une pétition, qui fut reprise par la suite par les groupes communautaires, de fabriquer une grande banderole et le 3 juin 2005, les membres du collectif se sont installés à la porte du métro Charlevoix pour faire signer la pétition. En quelques heures près de 700 signatures avaient été recueillies. Nous avons sentis à cette occasion que la lutte contre le déménagement du casino venait véritablement de prendre son envol même s’il n’y avait officiellement aucun projet sur la table. Nous venions d’établir de manière convaincante que la lutte contre le déménagement du casino était devenue une préoccupation réelle d’une partie importante de la population du quartier.

Le 8 juin suivant, à la rencontre régulière de la Table Action-Gardien, dernière avant les vacances d’été, le réseau communautaire, qui avait déjà pris une position de principe contre le casino en février 2005, décidait cette fois de se lancer dans la bataille. Un comité de suivi, le comité CN-Casino qui devait par la suite prendre le leadership de la lutte, était mis sur pied et organisait une première conférence de presse le 13 juin en promettant au gouvernement un « nouveau Suroît »(2) s’il allait de l’avant avec le déménagement du casino.

LE MOUVEMENT SOCIAL À L'OFFENSIVE

Il est assez rare que les mouvements de luttes sociales devancent les promoteurs de grands projets. Pourtant, c’est bien ce qui s’est produit dans le dossier du Centre de divertissement de Loto-Québec même s’il a fallu plusieurs discussions pour atteindre ce momentum. Déjà, le mouvement communautaire avait évalué que le déménagement du casino constituait à la fois, la colonne vertébrale (des fonds publics de 1 milliard$) et le maillon faible de l’échafaudage (effets pervers du jeu sur le milieu de vie) du projet de Loto-Québec. De manière très stratégique, Loto-Québec s’était donné une béquille dorée en associant son projet au Cirque du Soleil. Son objectif : faire dévier la préoccupation autour des impacts sociaux vers les aspects spectaculaires d’un Centre de divertissement récéotouristique.

Dès le lancement du projet de Loto-Québec, avec son et lumières, le 22 juin 2005, 25-30 militantEs se trouvaient à la porte des bureaux administratifs de Loto-Québec, tracts et banderole compris pour dénoncer ce projet anti-social. Dès lors, la puissante institution publique s’est retrouvée en position défensive. Dès la semaine suivante un 4 pages couleurs était publié dans tous les journaux du Québec pour vanter le projet. La campagne de marketing, à coûts de dizaines de milliers de dollars et qui agirait comme « bulldozer » pour Loto-Québec, était pris à partie par le mouvement social du quartier. À partir de ce moment la plupart des médias sont devenus plus « sympathiques » à la position citoyenne militante.

Ici, il faut faire une parenthèse. Tout au long de cette bataille les médias ont affiché une sympathie quelque peu hors du commun pour la lutte populaire en affichant tout simplement une attitude critique face à Loto-Québec. C’est comme s’ils avaient adopté sous leur aile David (le mouvement social) contre le géant Goliath (Loto-Québec), ce dernier disposant de moyens financiers absolument disproportionnés par rapport à l’opposition citoyenne. Nous avons su par le rapport Coulombe que Loto-Québec avait dépensé 5.7 millions$ pour influencer l’opinion publique. Mais il faut ajouter, que tout au long de cette lutte, l’expérience organisationnelle des membres du comité CN-Casino, qui ont continuellement et sans arrogance mis sur le place publique une grande cohérence entre le discours, l’action et la mobilisation des forces sociales, ont réussit à mousser cette sympathie populaire auprès des journalistes. Lorsque nous disons cela, nous n’affirmons nullement que le « quatrième pouvoir » soit neutre. Au contraire, le « main stream » médiatique au Québec appartient bel et bien à l’élite capitaliste de la société et y défend clairement ses intérêts.

LE LEADERSHIP DU COMITÉ CN-CASINO(3)

Cette division David/Goliath, sur la base d’intérêts de classe sociale(4), s’est accentuée durant les 9 mois entre le lancement public du projet et le dépôt du rapport Coulombe le 9 mars 2006. Dès septembre, sentant que la controverse qui s’étendait peu à peu dans l’opinion publique, Loto-Québec annonça la formation d’une coalition en appui au projet de Centre de divertissement. La Chambre de commerce du Montréal métropolitain et Tourisme Montréal étaient les principaux porte-parole. Cette coalition ratissait essentiellement dans le milieu des affaires et avait le soutien politique des 3 paliers de gouvernement à travers la Société du Havre de Montréal. Dès lors le comité CN-Casino s’employa à mettre à jour, dans une petite brochure intitulé « Qui tire les ficelles »(5), cette sorte de « club des amiEs » qui s’échangent les postes dans les divers conseils d’administration d’organismes publics et privés impliqués dans le dossier.

Mais l’essentiel de la stratégie de lutte était basée à la fois sur la mobilisation, l’information et la médiatisation des efforts pour élargir le débat public. Le comité CN-Casino se réunissait une fois par semaine pour suivre, analyser et proposer des stratégies aux rencontres de la Table Action-Gardien qui se réunit aux 3 semaines. Il fallait par l’information animer autant le comité de mobilisation que les groupes membres d’Action-Gardien. La cohésion interne à travers les questionnements et les débats dans le mouvement social était essentielle à l’enracinement de la position défendue. Pour les membres du comité CN-Casino, cette cohésion sociale et militante fut continuellement posée et à l’intérieur du comité et dans le quartier. Malgré les divergences d’opinion ou de position, les débats et discussions se sont faites franchement. Le comité CN-Casino a relevé ce défi incontournable avec une grande maturité.

Ainsi, l’automne a été le moment pour faire signer la pétition à la porte du métro, les épiceries ou bien par le porte à porte dans le quartier. Le comité CN-Casino et les militantEs du comité de mobilisation autour estiment avoir rencontrer entre 6 000 et 7 000 des 10 000 adultes du quartier Pointe Saint-Charles. Uniquement dans le quartier environ 4 800 noms ont été ramassés. Une manifestation populaire dans le quartier le 29 octobre 2005 a rassemblée environ 700 personnes. Le Comité CN-Casino a également soutenu une assemblée publique dans le quartier Petite-Bourgogne où 150 personnes se sont rassemblées.

En décembre, une trentaine de militantEs de Pointe St-Charles ont participé au Forum organisé par le RESO sur le projet de Centre de divertissement et une déclaration d’appui, signé par environ 200 organisations(6) à travers le Québec, a été rendue publique en conférence de presse.

Pendant ces quelques mois, les membres du comité CN-Casino ont acquis énormément de connaissances quant aux impacts potentiels de l’industrie du jeu sur la vie des communautés. Et c’est pourquoi la question de l’augmentation des revenus de l’État par le jeu a été mise de l’avant.

Une certaine accalmie s’est installée durant le temps des fêtes de Noël jusqu’à la journée électorale du 23 janvier, les grands médias étant monopolisés par la campagne électorale fédérale. Mais durant les 6 semaines jusqu’au dénouement quelque peu dramatique du 10 mars, Loto-Québec a vu sa position s’affaiblir dans l’opinion publique par quelques manœuvres malhabiles (ouverture pour 400 emplois qui se sont avérés être des emplois d’été pour étudiants, nouvelle série de publicités télévisées et de distribution porte à porte sur le « jeu responsable » qui a eu l’effet d’une tentative d’influencer le public, sortie publique d’un chercheur minimisant les impacts du jeu mais qui s’est révélé dès le lendemain être à la solde de Loto-Québec).

Par contre, le comité CN-Casino a tablé sur la sortie du rapport de la Direction de la santé publique (DSP) qui venait appuyé fortement les éléments de critique sociale que le comité CN-Casino martelait depuis le début. Mais, une grande inconnue en terme de stratégie pour le mouvement d’opposition commençait à percer. En effet, depuis le début de l’automne, devant le refus de la Table Action-Gardien de Pointe Saint-Charles de négocier les modalités d’implantation du Centre de divertissement, plusieurs acteurs, qui n’appuyaient pas « officiellement » le projet, adoptaient une position attentiste et se préparaient à d’éventuelles négociations, souhaitant ouvertement ou en coulisse que le gouvernement accorde sa bénédiction au projet, tout ça après que le mouvement social d’opposition eut fait monter les enchères.

En conclusion de son rapport, la DSP ne s’opposait pas formellement au projet de Loto-Québec et une des recommandations allait dans le sens de trouver un terrain d’entente. Erreur, puisque le Rapport Coulombe allait se servir de cette recommandation pour maintenir le projet en vie. Lors de la rencontre du Comité CN-Casino avec Guy Coulombe, le mandataire gouvernemental avait aussi confirmé que les suites du rapport iraient dans une direction semblable. Même chose, du côté des récentes déclarations du Maire de Montréal et le refus obstiné de la mairesse de l’arrondissement Sud-Ouest et de tous les éluEs de se positionner.

Petite parenthèse ici. Il vaut la peine de s’attarder à la position émise par l’arrondissement Sud-Ouest et par la Direction du Service de l’Urbanisme que l’on peut lire dans le Rapport Coulombe. Dans ce rapport il est écrit que « Les élus de l’arrondissement du Sud-Ouest tiennent aujourd’hui à faire connaître leurs préoccupations spécifiques et leur point de vue à l’égard de ce projet porteur de revitalisation économique et urbaine… » « Cet intérêt favorable des élus de l’arrondissement n’est pas inconditionnel… ». Sans relâche depuis juin 2005 et à de nombreuses reprises par la suite, y compris pendant la campagne électorale municipale de l’automne 2005 et lors du conseil d’arrondissement du 7 mars, le Comité CN-Casino a cherché à connaître la position de Jacqueline Montpetit et des autres éluEs, mais sans succès. L’hypocrisie n’est peut-être pas le pire mot pour décrire une telle attitude. Il aurait été sans doute plus honnête de défendre ce qui a été écrit dans le rapport. Nous avons alors su, moins de 24 heures avant l’abandon du projet, que nos éluEs défendaient depuis des mois une position qu’ils-elles n’avaient pas eu le courage de dire publiquement. Maintenant que le projet a été abandonné, la population du Sud-Ouest n’aura jamais été informée publiquement de la position des éluEs. Belle transparence !

Mais ce qu’il faut rajouter à ce manque de courage, fut le refus systématique de la mairesse Jacqueline Montpetit de rencontrer les représentantEs de la Table des groupes communautaires, un mépris qui n’a d’égal que son manque de courage politique. Cette opinion est renforcée par la position écrite de l’arrondissement : « Mais s’ils sont présents et mobilisés, ces groupes et Tables de concertation ne représentent pas forcément l’opinion de tous les citoyens du Sud-Ouest. À cet égard le RESO a joué avec succès un rôle de rassembleur des différents acteurs du milieu… de manière responsable » alors qu’à l’inverse selon le même texte « La Table de concertation Action-Gardien de Pointe Saint-Charles n’a pas voulu participer au comité de travail mis sur pied par le RESO … » et que « si les préoccupations soulevées par les opposants inconditionnels au projet sont fondées, le discours est idéologique et il y a peu d’ouverture à la discussion ».Pour l’arrondissement Sud-Ouest, il est clair que le RESO est responsable alors que le communautaire est idéologique.

Enfin, le RESO, cette organisation vouée à la concertation absolue entre les parties, s’était déjà fait un devoir de s’afficher comme le représentant responsable du milieu Sud-Ouest pour la négociation future.

Dans cette conjoncture, le comité CN-Casino devait à la fois augmenter le rapport de force face à Loto-Québec et au gouvernement et éviter d’être isolé comme interlocuteur politique sur son propre terrain dans le Sud-Ouest. C’est pourquoi, la Table Action-Gardien a fait appel, quelques jours précédents la sortie du rapport Coulombe, à la mobilisation citoyenne. Ainsi le 6 mars, la plus grosse assemblée publique depuis le début de la lutte a regroupé près de 300 personnes enthousiastes(7), 3 jours avant le dépôt du rapport Coulombe. Des moyens d’action visant à faire augmenter la controverse ont été proposés par l’assemblée publique et dès lors le comité CN-Casino planifiait déjà la continuation de la lutte.

LE RÔLE CONTROVERSÉ DU RESO

Il faut rappeler brièvement qui est le Regroupement économique et social du Sud-Ouest (RESO). Cet organisme financé et recevant ses mandats de l’État (quoiqu’en disent ses défenseurEs), rassemble tous les secteurs d’activités du Sud-Ouest. Ainsi, des représentantEs des grandes entreprises, des PME, du milieu syndical, du milieu communautaire, du milieu culturel, etc. siègent sur le conseil d’administration. Son mandat ; soutenir le développement économique et social du Sud-Ouest par la concertation de tous les acteurs. La Table Action-Gardien y occupe un siège.

L’émergence de la Table Action-Gardien sur les enjeux d’aménagement (lancement de l’Opération populaire d’aménagement (OPA) et l’appropriation des terrains du CN) a interpellé directement d’autres acteurs sur le terrain, dont le RESO. Avec l’OPA, Action-Gardien avançait dans une démarche communautaire complètement autonome. Sur la question des terrains du CN, dès lors où la revendication d’une lutte pour l’appropriation publique des terrains fut lancé, des divergences stratégiques et idéologiques apparurent d’abord au sein de la Table Action-Gardien elle-même(8) et par la suite sur le terrain de la lutte.

Ainsi, au début 2005, lorsqu’il devenait de plus en plus évident que le déménagement du casino allait devenir l’objet principal de la lutte populaire menée par la Table Action-Gardien, le fossé entre le RESO et Action-Gardien s’est agrandi constamment. Dans un premier temps, la démarche conjointe impliquant entre autre le RESO et Action-Gardien, dans un processus de négociation avec l’arrondissement Sud-Ouest, a été relégué aux oubliettes et carrément abandonné. Dès cette période, Action-Gardien se réenlignait dans une démarche autonome sur les enjeux urbains du quartier abandonnant sa position dans une stratégie de concertation au profit de la constitution d’un rapport de force pour défendre les intérêts de la majorité de la population du quartier. Ainsi, dans la bataille contre le casino, le comité CN-Casino a du envoyé une lettre au RESO à la fin de juin 2005 et demandé explicitement que le RESO évite de se présenter comme l’interlocuteur du quartier Pointe Saint-Charles.

TENTATIVE DE CONCILIATION... LE FORUM DU 8 DÉCEMBRE

Au moment où la question du casino émergea, la direction du RESO se cantonna dans une position de négociation avec Loto-Québec. Plusieurs rencontres se sont tenues entre les 2 parties et le RESO devint publiquement l’interlocuteur de Loto-Québec pour le milieu social du Sud-Ouest. Le 8 décembre, le RESO organisa un Forum public où sont venus 250 personnes dont une trentaine de militantEs de l’opposition à Pointe Saint-Charles. Voulant éviter la controverse, les discussions eurent lieu uniquement dans les ateliers et les participants de la plénière n’eurent pas l’occasion de confronter les «experts » invités pour l’occasion. Mais, les rapports des ateliers sont venus confirmer la très forte polarisation dans le Sud-Ouest entre les tenants du non au casino (mouvement social) et les tenants du développement à tout prix (milieux d’affaires(9)). La direction du RESO était dans les faits pris entre les deux et son rapport, assez substantiel, refléta cette réalité. Mais dans les faits ses agissements rejoignaient ceux et celles qui sans le dire ouvertement souhaitaient vivement que le projet passe.

La direction du RESO continua à agir comme si elle avait le mandat de négocier et elle est même venue tout prêt de signer une entente avec Loto-Québec sur le développement de l’emploi. Le Conseil d’administration, mal à l’aise, l’obligea à reculer.

Tout au long, l’attitude générale du RESO en faisait le principal soutien local au projet de Loto-Québec. Les autres acteurs favorables au projet du déménagement du casino l’ont vite compris et l’ont souligné clairement dans les données du rapport Coulombe. En effet, l’arrondissement Sud-Ouest, qui soit dit en passant finance le RESO, soutenait à fond ce dernier en le considérant comme le seul interlocuteur valable dans le Sud-Ouest. D’autre part, les recommandations de Guy Coulombe, qui demandait à Loto-Québec de mettre en place une Table de concertation dans le Sud-Ouest, repéraient le RESO comme le représentant légitime du milieu. Et en proposant de verser une somme de 300 000$ à l’arrondissent sur cette question, Guy Coulombe accréditait la stratégie de tenter une isolation totale d’Action-Gardien, principal acteur ayant contribué au déraillement du projet de Loto-Québec.

Finalement, avec le désistement de Loto-Québec, le RESO n’aura pas été capable de prendre une position claire sur un enjeu absolument colossal pour le quartier Pointe Saint-Charles et le Sud-Ouest. Le RESO s’est totalement discrédité comme interlocuteur et défenseur des intérêts majoritaire de la population. Par contre, il a su garder tout son crédit auprès des puissants de cette société capitaliste profondément inégalitaire. En fin de compte, les militantEs de la Pointe libertaire sont très satisfaitEs d’avoir contribué à une meilleure clarification des intérêts poursuivis par les acteurs en piste.

LES ÉLÉMENTS QUI ONT CONTRIBUÉ À LA VICTOIRE

L’issue d’une lutte, quel qu’en soient les résultats, repose en général sur une combinaison d’événements, d’une conjoncture qui se transforment plus ou moins rapidement, de choix faits par les acteurs sur le terrain, des tensions qui existent chez les promoteurs, etc.,. La victoire contre le déménagement du casino n’échappe pas à cette logique. Sans les présenter par ordre de priorité, voici quelques éléments.

1. Le choix du site par Loto-Québec : En proposant d’implanter le casino dans les limites historiques de Pointe Saint-Charles, ni la Société du Havre, promoteur de la requalification du territoire, ni Loto-Québec ne croyaient arriver en terrain miné. Ils avaient l’impression d’être dans un « no mans land ». Pourtant, Pointe Saint-Charles est un quartier connu pour son dynamisme et ses luttes sociales et politiques. En associant le projet au Cirque du soleil, qui rappelons-le ne déboursait pas un sous, Loto-Québec se donnait une carte supplémentaire pour pouvoir détourner l’attention portée sur son canard boiteux, le casino.

2. l’attitude de Loto-Québec : Lorsque Loto-Québec s’est rendu compte qu’elle arrivait dans un milieu de vie, elle s’est comportée comme en « terrain conquis » en misant sur une manne d’un milliard$ dans un quartier pauvre. Elle avait nettement sous-évalué la fragilité du terrain en tablant sur une stratégie marketing traditionnelle qui achète l’adhésion de la population à son produit par sa seule présentation spectaculaire.

3. L’image du Cirque du soleil : le Comité CN-Casino avait identifié la position précaire du Cirque du soleil à savoir qu’il ne voulait pas être associé à un projet controversé. Une seule lettre fut envoyée au Cirque du soleil de la part d’Action-Gardien qui lui demandait de reconsidérer leur association avec Loto-Québec, mais sans faire trop de vague. La Table Action-Gardien ne voulait pas créer un « back lash » dans la population à cause de la grande notoriété publique du Cirque du soleil. Mais si le dossier s’était poursuivi durant 18 mois comme l’a proposé le ministre des Finances Michel Audet, il est certain que la pression sur le Cirque du soleil aurait considérablement augmentée. Ce que semble avoir compris les dirigeants du Cirque. Ce qui a peut-être fait l’affaire du gouvernement du Québec qui ne voulait pas se retrouver avec une patate chaude dans l’année pré-électorale.

4. Isolement de l’opposition : Dès le départ, Loto-Québec et ses alliés ont tenté d’isoler l’opposition venant du quartier Pointe Saint-Charles en présentant le RESO comme seul interlocuteur du milieu et en refusant de rencontrer la Table Action-Gardien par que l’exigence d’une rencontre publique avait été formulée. Par exemple, les gens de Pointe Saint-Charles étaient présentés comme des « chialeux » (Lucien Bouchard, co-président de la Société du Havre), des gens qui ne comprennent pas le projet (Isabelle Hudon, Chambre de commerce du Montréal métropolitain) ou qui n’ont que des positions idéologiques (Jacqueline Montpetit mairesse de l’arrondissement Sud-Ouest).

5. La force du leadership communautaire : La longue tradition de lutte du quartier Pointe St-Charles s’est trouvé stimulée par un projet comportant des failles énormes et facilement explicables en matière d’impact sociaux négatifs. Loto-Québec ne pouvait pas arriver au pire endroit et au pire moment pour imposer un projet aussi anti-social.

6. La vigilance du milieu militant : Plus d’un an avant la présentation officielle de Loto-Québec, des groupes communautaires et de militantEs du quartier Pointe Saint-Charles préparaient déjà le terrain, entre autre en s’intéressant aux enjeux d’aménagement urbain et l’avenir du quartier. Cette vigilance active avait déjà des effets dans la population locale.

7. La sympathie des médias : Dès le départ, la disproportion des moyens d’intervention de Loto-Québec, sa culture du secret (refus de divulguer des études) et la faiblesse de l’argumentation logique, ont porté les médias à chercher l’équilibre les forces en présence. Le comité CN-Casino a su très habilement canaliser cette sympathie.

8. La force organisationnelle, idéologique, le respect des opinions de chacunE des membres du comité et la grande disponibilité des membres du comité CN-Casino ont eu des effets non négligeables sur la cohérence que le mouvement d’opposition a offert sur le terrain.

POUR LA SUITE DES CHOSES

La Société du Havre de Montréal est sûrement très déçu que le milliard$ de fonds publics de Loto-Québec se soit envolé. Cet abandon du projet de Centre de divertissement retarde d’autant la mise en disponibilité de fonds publics et l’avancement pour la requalification de la vieille trame industrielle. Reconstruire la trame urbaine entre le Centre-ville et le fleuve et entre Pointe Saint-Charles et le Vieux-Montréal, c’est l’objectif que se sont fixé la Société du Havre et la Ville de Montréal. On prévoit générer des investissements de 10 à 12 milliards d’ici 2025 par le déplacement de l’autoroute Bonaventure et la construction de 12 000 logements en plus d’édifices à bureaux. Ce qui en ferait le plus gros projet urbain de l’histoire montréalaise.

Il faut être conscient que le quartier Pointe Saint-Charles, de part sa situation géographique, représente directement une partie du territoire visé par la Société du Havre. Il est donc logique de prévoir que la vision d’aménagement urbain actuelle des élites économiques et politiques aura des impacts considérables sur le tissu bâti du quartier.

Rappelons à cet égard que la croissance économique constitue la locomotive du développement de Montréal pour les milieux d’affaires et les politicienNEs(10). Les déclarations du Maire de Montréal sont très claires à ce sujet. Montréal pour rejoindre le peloton de tête des villes nord-américaine en 2025 pour la qualité de vie (lire PIB par habitant) et pour cela elle doit compter sur une croissance annuelle d’au moins 5%. Cet objectif stratégique n’est pas autre chose qu’une perspective capitaliste et productiviste du développement et qui s’applique actuellement à l’aménagement urbain. Les pires effets, de nature sociologiques, sont à craindre pour Pointe Saint-Charles. Le remplacement graduel, mais de plus en plus rapide, de la population ancienne et plus faible économiquement par une nouvelle population plus économiquement favorisée, les impacts négatifs de la spéculation immobilière résultant de l’activité du marché immobilier, la disparition graduelle de la base et de la relève militante attachée au territoire et qui porte des revendications axées sur le contrôle démocratique et des perspectives autogestionnaires.

Dans cette vision, il est certain qu’on assistera à l’émergence de projets « verts » et écologiques du genre toits verts (le casino avait prévu un toit végétal), bâtiments ultra
énergétiques, énergies alternatives non polluantes, récupération des eaux de pluies, etc.). Mais ces projets pourraient n’être accessibles qu’aux classes sociales du haut de l’échelle, capables de se payer les innovations. Ce genre de perspective, produit d’une récupération capitaliste du concept de développement durable, sera soutenu activement par les médias traditionnels. À terme, si cette vision devait se concrétiser dans 10 ou 15 ans, c’est la disparition du quartier Pointe Saint-Charles, comme communauté de vie, qui pourrait en être la conclusion. Il y resterait le nom, mais la culture et l’histoire de ce quartier ouvrier et populaire ne serait plus que des souvenirs pour les touristes d’occasion.

LES DÉFIS POUR UN QUARTIER ET UNE VILLE ÉCOLOGIQUE

Quel est donc le défi pour les forces sociales populaires du quartier qui se doutent fortement que la vision de la Société du Havre, de la Ville de Montréal et de l’arrondissement Sud-Ouest n’est pas compatible avec des objectifs de justice sociale, de lutte à la pauvreté et d’amélioration des conditions de vie pour tous et toutes ?

Peut-on modifier cette trajectoire prévue par les élites politiques et économiques ? « Méchante commande » diront, dans un langage populaire, les plus militantEs d’entre-nous. Mais essayons de voir comment les suites de l’échec de Loto-Québec pourraient servir une autre vision de l’aménagement urbain ?

L’idée d’intervention communautaire marquée par « la volonté de changement social » est présente depuis 35 ans, même si elle s’est affaiblie considérablement. La victoire contre le casino a permis de relancer l’espoir en la capacité collective locale d’influer sur le devenir du quartier. La Table Action-Gardien reprend son itinéraire dans le but d’exercer le meilleur contrôle possible sur le redéveloppement de la partie Est et Sud du quartier. Particulièrement autour des enjeux que son les terrains du CN et du projet de 1 200 logements de la Nordelec, dans la partie nord-est du quartier.

MARQUER NOS PROJETS URBAINS À L'ENCONTRE D'UNE VISION CAPITALISTE

Comme dans le dossier du Casino, il faudra montrer clairement encore une fois diverses facettes de la volonté de résistance à l’envahissement afin que le quartier demeure un acteur incontournable sur les enjeux urbains actuels. Pour sa part, la Pointe Libertaire, ainsi que d’autres collectifs sympathisants, sont engagés dans une perspective de réaliser des projets visant à s’accaparer publiquement des espaces qui doivent appartenir à la collectivité locale. En cela, certaines activités de mobilisation viendront probablement appuyer l’orientation populaire autour de la Table Action-Gardien qui vise à s’approprier le territoire.

Le comité aménagement de la Table Action-Gardien, suite à la victoire contre le casino, a repris sa démarche autour des terrains du CN. Cette démarche comporte des thèmes de réflexion dans le but de préciser les propositions qui seront mises en consultation publique, possiblement à l’automne de cette année. Ces thèmes touchent la spéculation, le désenclavement, l’avenir des voies ferrées et autres questions qui ne sont pas pris en compte par les pouvoirs publics via le plan d’urbanisme mais qui sont tout de même au cœur de l’avenir de la communauté de vie locale.

Les libertaires, comme dans la lutte contre le casino, veulent contribuer à développer une démarche de plus en plus autonome de la collectivité de Pointe Saint-Charles vis-à-vis des pouvoirs politiques et économiques de toute nature. Il faut arriver à ce que cette démarche puisse afficher quelques couleurs anti-capitalistes et de contre-pouvoir tout en misant sur l’idée d’autogestion.

Le concept d’Écovillage urbain que nous avons lancé devrait être l’idée maîtresse autour de laquelle nous souhaitons faire avancer non seulement la réflexion mais également la mise en œuvre de projets concrets d’appropriation de l’espace(11).

(1) « Ça change pas le monde… ça le détruit, NON au Casino » La Pointe libertaire, 10 pages, mai 2005.
(2) En 2003, le gouvernement libéral de Jean Charest annonce l’octroi d’un contrat à General Dynamic pour la construction d’une centrale thermique au gaz à Beauharnois. Quelque temps plus tard les environnementalistes et les écologistes organisent une manifestation à Montréal pour dénoncer ce projet qui fait couler beaucoup d’encre dans les journaux. Les organisateurs, qui s’attendaient regrouper de 500 à 1 000 personnes, sont consternés d’avoir rassemblés 15 000 personnes dans les rues. Le gouvernement recule immédiatement par le retrait du projet.
(3) Le comité CN-Casino est composé de représentantEs des Services juridiques communautaires de Pointe St-Charles, la Clinique communautaire de Pointe St-Charles, le Welfare Wrights Committee, le comité des sans emploi, le Regroupement information logement, le Carrefour d’éducation populaire, la coordonnatrice de la Table Action-Gardien et de moi-même employé à temps partiel de la Table.
(4) Goliath c’était Loto-Québec, vache à lait du gouvernement, caché derrière la notoriété médiatique du Cirque du soleil, multinationale du spectacle. Goliath rassemblait aussi la Société du havre de Montréal, mise sur pied par le Maire de Montréal et co-présidé par Lucien Bouchard, ancien premier ministre du Québec et Francis Fox, ancien ministre à Ottawa. On retrouve sur le conseil d’administration la faune politique et économique dominante de Montréal, y compris la grande industrie culturelle du genre Spectra.
(5) La Société du Havre a proposé en 2005 le plus grand chantier urbain de l’histoire de Montréal avec des investissements d’environ 12 milliards$ sur une période de 20 ans. Une bonne partie du territoire d’intervention se trouve juste à la limite ou empiète directement sur le quartier Pointe Saint-Charles. À titre d’exemple, le PDG de Loto-Québec Alain Cousineau, ancien important organisateur du parti libéral, Isabelle Hudon de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et Charles Lapointe PDG de Tourisme Montréal siège sur le conseil de la Société du Havre.
(6) En mars 2006, près de 300 groupes avait signé la déclaration. Ces organisations aussi bien nationales, régionales que locales venaient de tous les secteurs (consommateurs, alphabétisation, jeunes, femmes, multiculturels, logement, etc.) de la vie sociale et politique.
(7) Au sujet de l’assemblée du 6 mars 2006, voir compte rendu sur archive.lapointelibertaire.org
(8) Voir l’analyse du 10 avril 2005 sur archive.lapointelibertaire.org
(9) Dès l’automne 2005, le RESO a mis sur pied un comité de suivi du projet de Loto-Québec pour en évaluer les impacts. Un des membres de ce comité était Gilles Chatel, propriétaire d’une entreprise d’environ 90 employéEs et membre du conseil d’administration du RESO. Cette entreprise aurait été expropriée, rachetée ou déplacée par Loto-Québec puisqu’elle se trouvait sur les terrains convoités. D’autre part, M. Chatel siège au conseil d’administration de la Société du Havre avec entre autre Alain Cousineau PDG de Loto-Québec. Pourquoi, ce potentiel conflit d’intérêt n’a-t-il pas été vu ? À travers un tel exemple, il n’est peut-être pas étonnant que la direction du RESO ait plutôt penché en faveur du monde des affaires plutôt que sur les positions majoritaire de la population.
(10) « La Ville de Montréal adhère à l’objectif proposé par la Communauté métropolitaine de Montréal, (dont le Maire de Montréal en est le président), qui consiste à accélérer vigoureusement la croissance économique, de manière à hisser Montréal parmi le peloton de tête des métropoles nord-américaines d’ici 2025 ». Cahier d’information complémentaire du budget 2005, 2.2. Cet objectif est repris plus en détail dans la « Stratégie de développement économique 2005-2010 de la Ville de Montréal, document de 108 pages adopté en juin 2005 par le conseil de la Ville de Montréal.
(11) Voir sur le site www.lapointelibertaire, proposition sur Éco-village.

Marcel Sévigny
27 mars 2006