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Sentiment de puissance et d'impunité: les frasques policières, 2005-2006La police a pour mission de « servir et de protéger » les citoyens. C’est d’ailleurs la première motivation au travail exprimée par les policiers : servir leur communauté. La fonction policière en est une de prestige, elle doit inspirer confiance et respect. Mais qu’en est-il lorsque les flics se rendent coupables d’actes socialement répréhensibles, lorsque le bras armé de l’État sort de ses gonds et travaille pour lui-même ? La brutalité et la violence, l’abus de pouvoir, le racisme, le machisme, l’homophobie, la fraude et le manque de transparence doivent être dénoncés. Il faut poser des questions et les asticoter, sans relâche. Car année après année, les mêmes situations se repro-duisent, les mêmes cas reviennent. Malgré les commissions d’enquête, mal-gré le millier de plaintes annuelles au Commissariat à la déontologie policière, malgré les procès. Sans jeu de mot, ce qui frappe le plus, c’est le sentiment de puissance et d’impunité qui semble habiter plusieurs policiers. Quelle image les supérieurs donnent-ils aux troufions ? Plusieurs directeurs de service policiers ont fait les manchettes depuis un an, laissant entrevoir un drôle de système normalement protégé par la loi du silence. Par exemple, le directeur de la police de Mirabel a démissionné après que la mairie ait trouvé qu’il a manqué aux règles d’éthiques et administratives de la ville. Il faisait déjà l’objet d’une enquête relativement à l’utilisation de renseignements policiers. Son adjoint, déjà suspendu, serait intervenu en faveur d’un proche. De plus, les deux sont sous enquête pour des allégations d’entrave à la justice. En décembre 2004, un mandat d’enquête avait été émis concernant les activités du chef de police de Deux-Montagnes. 39 accusations criminelles sont finalement déposées contre lui pour vol, fraude et abus de biens publics, le tout pour près de 15 000$. En janvier 2006, il est congédié par le conseil municipal. « C’est une guerre politique », affirme-t-il de sa chambre d’hôtel en Floride (La Presse, 14-1-06). Arrêtes, tu vas nous faire pleurer... Une p’tite dernière ? Le capitaine de la division surveillance de la STM a tenu des propos sexistes devant des recrues. Il leur a dit de « remplir une agente » (la mettre enceinte) de façon à libérer un poste et ainsi faire des heures supplémentaires...Il leur a aussi dit de faire attention aux délégués syndicaux. Et tout cela n’est que la pointe de l’iceberg : pour une plainte, combien se taisent ? Questions : quand les boss se conduisent comme des bandits, quelle image ça donne aux troufions à qui on apprend à respecter la hiérarchie ? Quels effets le sentiment d’impunité qui habite les patrons produit-il sur leurs subordonnés ? Profilage ethnique et profilage social La police se défend de cibler certaines « clientèles ». Mais les cas de profilage ethnique et/ou social se multiplient. Plusieurs organisations qui s’intéressent aux relations entre groupes ethniques relèvent chaque année que les jeunes issus de communautés ethniques se font harceler et brutaliser par les agents du métro et les policiers plus souvent qu’à leur tour. Plusieurs travailleurs de rue trouvent que les contraventions et les interpellations sont souvent injustifiées ou « borderline unjustified ». Par exemple, à Laval fin juillet, un jeune mulâtre se fait interpeller dans la rue alors qu’il jase avec des voisins. Deux flics lui demandent de s’identifier. N’ayant rien à se reprocher, il refuse. Ils lui sautent alors dessus et le bastonnent allègrement. Un voisin proteste, on lui répond : « on a le droit d’utiliser la force qu’on veut, monsieur. » (PC, 27-7-05). On l’embarque, on l’identifie et on le relâche parce que c’est pas lui qu’on cherche, le laissant avec la figure cabossée et une citation à comparaître pour « entrave au travail des policiers ». C’est vrai qu’il ne s’est pas laissé casser la gueule sans se débattre... Mais le cas le plus mystérieux est advenu en décembre. Deux flics qui faisaient le guet pendant une opération sont supposément attaqués sans raison au poignard. L’un deux tire, l’agresseur meurt à l’hôpital. Les blessures du flic sont superficielles, ce qui n’empêche pas le président de la Fraternité des policiers de Montréal de se plaindre, dans une lettre ouverte (La Presse,10-1-06), du manque de soutien des politiciens en disant qu’« être gravement blessé dans le cadre de ses fonctions n’est-il pas suffisant ? ». Le jeune abattu, un musulman pratiquant, portait djellaba et turban. Il est décrit par ses proches comme « un apôtre de la non-violence » et, comme les flics se refusent à donner toute information sur cet événement, plusieurs croient au camouflage d’une bavure. Le jeune homme aurait-il été victime de son apparence, aurait-il été provoqué ? C’est du moins ce que croient le Conseil musulman de Montréal et la Ligue des Noirs qui demandent une enquête publique. Le profilage n’est pas qu’ethnique : il est aussi social (harcèlement des prostitué-es, des itinérants). On mentionne rarement les cas de profilage des homosexuel-les, comme le révèle un cas de descente et d’arrestations massives dans un bar de danseurs nus, en 2003, qui faisait suite à « plusieurs mois d’observation ». Une trentaine de personnes furent accusées d’actes indécents, accusations tombées lors du procès. Selon l’avocat de la défense, cela montre « que le service de police souffre d’un manque de connaissance du phénomène gai. » (PC, 19-1-06). Brutalité policière : ecchymoses, blessures graves et mort d’hommes Ce qui a retenu l’attention des médias cette année, c’est la mort d’une policière et celle d’un ancien de la GRC en Haïti. Mais la flicaille tue et blesse aussi, et bien plus souvent. Si on se réjouit qu’il n’y a pas eu trop de décès aux mains des flics (moins de 10) ou de blessés graves, ce n’est pas le cas de la brutalité et de la force excessive. On relève une bonne quinzaine de cas, incluant l’arrestation filmée de la fille Péladeau. D’ailleurs, c’est l’année des caméras : au moins trois arrestations brutales ont été filmées en 2005, sans compter quelques exactions captées par les caméras de surveillance des postes de police. Le constat qui ressort des multiples cas de blessures, décès et d’arrestations musclées, c’est le mauvais jugement des policiers. Les exemples les plus probants sont celui relevé plus haut et celui-ci : un homme visiblement dérangé, abattu par deux jeunes policiers sur le Plateau-Mont-Royal en juillet dernier. Si, selon certains, les policiers auraient agi « selon les règles de l’art », on peut se demander s’ils ne dégainent pas un peu vite : l’homme avait une barre de fer, les matraques auraient peut-être suffit à l’arrêter. Selon Michel Oligny, ex-instructeur à l’École nationale de police, devenu travailleur social : « je pense que la préparation mentale de nos membres est trop théorique et qu’il y a un manque dans la gestion du stress. » (La Presse, 15-10-05). Le flic qui a abattu le jeune musulman avait aussi peu d’expérience. Autre exemple : mi-décembre, un flic de Lévis blesse par balles un homme intercepté au volant de sa voiture : « le motif qui a poussé le policier à arrêter l’individu est pour le moins très nébuleux » (Le Soleil, 14-12-05). Et les policiers ne peuvent plaider l’ignorance ; ils savent ce qu’ils font, comme le montre ce cas : un policier du SPVM « a fait culbuter un homme menotté, geste qui a causé à ce dernier des blessures au point de devoir appeler une ambulance. Dans l’attente, le policier a placé près de l’homme ensanglanté une bouteille de spiritueux qu’il venait de trouver dans son sac pour montrer qu’il était responsable de ce qui lui arrivait. Mal lui en prit. Deux jeunes femmes qui avaient suivi la scène ont dénoncé l’abus de force du policier » (La Presse, 30-11-05). L’année des agressions sexuelles Le plus dégueu pour terminer. Des cinglés, y’en a partout, on s’entend là-dessus. Mais comment se fait-il qu’on en retrouve autant chez les flics ? Le policier Benoît Guay fait présentement les manchettes : 22 chefs d’accusation pour agressions sexuelles armées, enlèvement, séquestration, menaces de mort, lésions et voies de fait, sur 7 victimes dont 5 mineures. On recense au moins deux autres cas du même ordre : un ancien de la SQ fut accusé de 19 infractions criminelles, dont 11 d’ordre sexuel sur 10 victimes, allant de l’attouchement de collègues jusqu’au viol d’enfants, sur une période de 31 ans. Il est condamné en octobre à 6 ans de prison. En juillet, un flic déjà condamné pour attouchements sexuels est destitué parce qu’il a brutalisé un prévenu menotté. Les voies de fait en dehors de l’exercice des fonctions policières retiennent aussi l’attention. Entraînés à se battre, à maîtriser des suspects, à manipuler des armes à feu, à faire la gueule de beu, bref à travailler dans un milieu violent, hiérarchisé, macho, strict, où l’on obéit sans discuter, les policiers sont très exposés à la violence en milieu familial. Plusieurs cas assez graves, impliquant souvent des enfants, sont advenus cette année. Doit-on en vouloir à ces hommes (car ce sont surtout des hommes que l’on parle ici) ? Oui et non. Les constables et les troufions sont peu scolarisés, ils sont habitués à la loi du silence et à la figure traditionnelle de l’homme autoritaire. Et ils agissent envers les prévenus et envers leurs proches de la seule façon qu’ils connaissent : brutalement. Marco Silvestro Article paru originellement dans le journal Le Couac, mars 2006. autres textes | 835 lectures
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