Une autre victoire pour la liberté d'expression

En plus de la coalition C.O.L.L.E qui conteste les contraventions reçues pour affichage sur le mobilier urbain, le militant Jaggi Singh vient de gagner (une fois de plus) en cour judiciaire dans une cause où il était accusé de méfait sur du mobilier urbain.

Cliquer ici pour lire le résumé du jugement produit par les Services juridiques communautaires de Pointe-Saint-Charles et Petite-Bourgogne.

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Mobilier urbain à partager


La Ville de Montréal porte atteinte à la liberté d'expression en interdisant d'afficher sur ses poteaux ou ses lampadaires, tranche la Cour d'appel

Le Devoir Lisa-Marie Gervais 19 juillet 2010

La Ville de Montréal devra très certainement revoir sa réglementation concernant l'affichage sur le mobilier urbain, qui vient d'être déclarée invalide par la Cour d'appel. C'est ce que laisse entendre un jugement rendu public le 15 juillet dernier qui donne raison à Jaggi Singh, célèbre militant altermondialiste, et l'acquitte de l'accusation d'avoir collé une affiche «ailleurs que sur une surface prévue à cette fin», un acte datant d'avril 2000.

La Ville de Montréal avait allégué qu'en collant sur un poteau une affiche qui annonçait la tenue du salon du livre anarchiste, M. Singh contrevenait à l'article 469 du Règlement d'urbanisme de la ville de Montréal, qui stipule qu'«il est interdit d'inscrire un message, de coller ou d'agrafer une affiche ailleurs que sur une surface prévue à cette fin». En 2003, la Cour municipale s'était rangée du côté de la Ville, de même que la Cour supérieure. Ne rendant pas les armes, Jaggi Singh en avait alors appelé de la décision.

Bien qu'il n'ait pas nié les faits — il dit d'ailleurs n'avoir jamais cessé d'apposer des affiches au mobilier urbain —, l'activiste s'en est pris directement à la réglementation qui, à son avis, est invalide, car elle viole la liberté d'expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. «J'ai contesté la loi parce que je trouvais que c'était trop restrictif. La Ville de Montréal de même que beaucoup d'autres municipalités ne sont pas intéressées à avoir de vrais espaces communs et populaires», a déploré Jaggi Singh.

Le droit à l'affichage

Jaggi Singh tient mordicus à ce droit d'affichage, qui exprime le dynamisme d'une culture. «Pour les gens des quartiers populaires, les militants, les artistes, mettre une affiche démontre le dynamisme de la ville. Mais Montréal l'interdit», a-t-il souligné. «La vraie culture, c'est pas la F1 et les pubs qui nous incitent à consommer, mais celle qu'on crée chaque jour.»

Dans sa décision, l'Honorable André Forget, juge principal dans cette affaire, a également tenu compte des trois arrêts sur l'affichage en milieu urbain survenus ailleurs au Canada, soit Ramsden, Guignard et Greater Vancouver. Dans ces trois cas, on reconnaissait qu'il y avait une atteinte significative à la liberté d'expression, soit parce qu'il y avait eu interdiction totale d'afficher, soit parce que l'interdiction découlait du contenu de l'affichage.

Prenant exemple sur ces cas de jurisprudence, la Ville de Montréal avait installé quelques babillards dans certains arrondissements, mais la Cour a jugé que c'était insuffisant. Non pas que la Ville doive installer un babillard à chaque intersection de rue pour permettre de rechercher un chat perdu. Mais elle doit trouver «une façon adéquate de permettre l'affichage sur l'ensemble de son territoire d'une manière conforme à la Charte», peut-on lire dans le jugement.

Le juge ne remet toutefois pas en cause la bonne foi de la Ville et se dit conscient «des difficultés inhérentes à la poursuite de ces objectifs légitimes qui ont trait à l'environnement et à la propreté». Mais ces raisons ne suffisent pas à justifier une restriction à une liberté fondamentale, tranche-t-il.

Une nouvelle réglementation?

Selon l'avocat dans cet appel, Me Julius Grey, la Ville doit tenir compte de la jurisprudence et modifier sa loi. «Il y a eu plusieurs causes sur l'affichage sur le mobilier urbain et les villes ne semblent pas vouloir changer», a-t-il constaté. Le règlement demeurera toutefois valide pour les six prochains mois, pour permettre à la métropole d'ajuster son règlement «si tel est son désir», a rappelé la Cour. Un porte-parole de la Ville, Gonzalo Nunez, a fait savoir au Devoir qu'aucun commentaire ne serait fait avant un examen en profondeur de la décision. Il a rappelé que la Ville dispose d'un délai de 60 jours pour porter le jugement en appel devant la Cour suprême.

Un autre jugement en cour d'appel, également sur le droit d'affichage, a été publié jeudi dernier, soit le même jour. Cette fois, on a donné raison à la Ville de Montréal, qui en appelait d'une décision rendue en Cour supérieure en faveur de Nouvelle Acropole Canada, un mouvement socioreligieux considéré comme une secte en France. Celle-ci avait d'abord été condamnée par la Cour municipale pour avoir attaché avec des «T-rap», à sept reprises, une affiche sur le mobilier urbain, soit des lampes, poteaux ou arbres, puis déclarée non coupable en Cour supérieure. Selon Me Julius Grey, également avocat dans cette affaire, Nouvelle Acropole Canada ne l'a pas emporté parce que la défense n'était pas fondée sur la prétention que le Règlement violait les droits. «On a présumé que le règlement était valide et on n'a pas essayé de l'invalider, comme on a fait dans la cause de Jaggi Singh», a-t-il expliqué.