Petite réflexion sur la violence dans le cadre de la grève étudiante


Le SPVM en déroute, Le Devoir

Depuis quelques semaines, le gouvernement du Québec a réussi à faire glisser le débat sur les frais de scolarité vers celui sur la violence. On l’a entendu à satiété; le gouvernement ne négociera pas avec des personnes ou des associations refusant de « dénoncer » la violence. Évidemment, c’est une position hypocrite qui sert à isoler la CLASSE des deux autres fédérations étudiantes; diviser pour mieux régner. La CLASSE s’était en effet clairement et à plusieurs reprises dissociée des gestes violents ayant eu lieu pendant la grève, affirmant qu’elle ne les organisait ou ne les désirait pas.

Lors de son dernier congrès, la CLASSE a tout de même accepté de dénoncer la violence contre les personnes. Au moment où j’écris ces lignes, le gouvernement tergiverse pourtant encore et pose de nouvelles conditions à la négociation. Aidé des journalistes qui relaient son discours, il tente de faire renoncer la CLASSE à la désobéissance civile en associant ce moyen de résistance à la violence. Mais est-ce violent de refuser de se disperser quand le demande la police? Est-ce violent de s’assoir devant un édifice public pour en bloquer l’accès? Jusqu’où la « violence » va-t-elle aller? Est-ce que ce sera violent demain de sacrer ou de se décrotter le nez?

Il faut le comprendre, c’est tout simplement impossible de changer la société sans transgresser ses lois et le mouvement étudiant actuel tente bel et bien de transformer la société. Contrairement à ce que prétendent le gouvernement et les personnalités médiatiques de droite, il ne tente pas simplement de « refiler la facture aux autres »; il dénonce et s’oppose activement au projet de société néolibéral qui nous est imposé depuis bientôt 30 ans. Il porte un autre projet de société, plus juste, plus égalitaire, plus humain.

Et pour changer la société, il faut transgresser ses lois, il faut résister. Si personne ne l’avait jamais fait, il y aurait encore un roi en France qui posséderait tous les pouvoirs. Les autres monarques d’Europe seraient encore les potentats tyranniques qu’ils étaient plutôt que les potiches milliardaires qu’ils sont aujourd’hui. Il y aurait encore la conscription. Les femmes n’auraient pas le droit de vote, pas le droit d’être propriétaires, pas le droit de se représenter en cour; elles seraient toujours des enfants aux yeux de la loi et leur mari aurait toujours le droit de les battre. Si personne n’avait jamais violé la loi pour changer la société, qui sait, l’armée des États-Unis bombarderait peut-être encore le Viet Nam… Sans désobéissance civile, la société moderne en serait restée à ce qu’elle était au début du XIXe siècle, dominée par l’Église et l’aristocratie, usant de la peine de mort et où les travailleurs et les travailleuses n’avaient même pas le droit de se rassembler pour discuter de leurs conditions de vie.

Oui, la gauche a compris depuis cette époque que pour changer le monde, elle devait désobéir. C’est peut-être cette relativisation des règles sociales qui a mené aux dérapages tragiques dont le parti bolchevik, les Khmers rouges et le Sentier lumineux sont les exemples les plus tristement célèbres. Quoi qu’il en soit, on est bien loin de ces tragédies dans la grève qui nous concerne. Pourtant, à droite, les appels à la haine et à la violence ne se taisent pas depuis le début du conflit.

Alors, est-ce que la grève étudiante est violente? Non, mais ne me croyez pas sur parole. Allons plutôt voir quelques vidéos amateurs sur youtube, des vidéos qui ne passent évidemment pas à la télévision :

La première montre une petite manifestation qui est passée sous le radar médiatique (volontairement ou non).

La deuxième montre la tristement célèbre manifestation du 7 mars où un étudiant a été gravement blessé à l’œil. Une troisième vidéo ayant servi à la promotion de la manifestation du 15 mars contre la brutalité policière montre bien les conséquences de cette violence et le climat de terreur qui s'instaure dans une foule qui se fait disperser par la police.

Regardez-les bien. Qui est violent sur ces vidéos? La réponse est claire et sans équivoque; des étudiant.e.s pacifiques se font tabasser, poivrer et assommer par les grenades assourdissantes. L'un d'eux est gravement blessé. Le 7 mars, alors qu’ils et elles mangeaient des coups de matraque, le slogan scandé était encore « On reste pacifiques ».

Allons maintenant voir une vidéo plus récente, celle de l’émeute ayant entouré le salon du Plan Nord. Deux autres vidéos montrent essentiellement la même atmosphère, celle-ci et celle-ci. Moins de deux mois se sont écoulés depuis les premières vidéos. Vous constaterez que l’attitude de la foule est passablement différente. Jamais je n’ai vu des policiers en tenue antiémeute l’avoir aussi dur de toute ma vie.

Qu’est-ce qui s’est passé? En quelques semaines seulement, le conflit s’est enlisé et a gravement dégénéré, au point où je crains maintenant une bavure irréparable d’un côté ou de l’autre. Pourtant, et c’est malheureux à dire, mais les policiers récoltent ce qu’ils ont semé. S’attendaient-ils à pouvoir tabasser des jeunes ad vitam aeternam sans que ceux et celles-ci ne se mettent à leur répondre? Tout ça aurait pourtant pu être évité si le gouvernement avait accepté de discuter, ce qu'il refuse encore de faire, ou si la police avait toléré quelques infractions comme le sit-in du 7 mars. Au lieu de ça, on se retrouve dans une situation dangereuse où le clivage gauche/droite risque de devenir une déchirure irréparable. À lire et écouter les médias poubelles comme Stéphane Gendron ou Le Soleil, qui publiait une lettre d’un haut fonctionnaire fasciste, j’ai bien l’impression que c’est ce que la droite désir, une déchirure irréparable pour se justifier de restreindre la démocratie. Évidemment, on n’en est pas encore rendu là en ce moment, mais, depuis la Deuxième Guerre mondiale, ces crises ont parfois débouché sur des coups d’État et des dictatures brutales et ultraconservatrices au service de la minorité dominante, le 1%. Alors, qui est violent?

Par Pascal Lebrun