Une expérience d'expropriation populaire à Pointe-Saint-Charles

Un article qui vient de paraître dans Le Canal, nouveau journal propulsé par le POPIR comité Logement de Saint-Henri.

Marco Silvestro
Agence de presse libre de la Pointe
Le Canal, vol. 1 no 2, hiver 2013, p. 1

Durant son règne à la mairie de Montréal, Gérald Tremblay a fait du développement immobilier capitaliste son cheval de bataille. Dans les dernières années il ne cessait de compter le nombre de grues dans le ciel de la métropole et de parler de l'accroissement des revenus foncier.

Ce parti-pris l'avait fait fortement réagir lorsque, en 2005, les résident-e-s de Pointe-Saint-Charles s'étaient opposés au déménagement du casino de Montréal et à l'installation d'un centre de foires international. Un projet piloté par Loto-Québec, appuyé par l'élite montréalaise, de la Société du Havre au Conseil du Patronat en passant par le Cirque du soleil et la mairesse de l'arrondissement Le Sud-Ouest, Jacqueline Montpetit (Union Montréal). La lutte contre le déménagement fut gagnée et on surnomma les vainqueurs des partisans de « l'immobilisme ».

De l'opposition à la proposition

Même si cette histoire quitta rapidement l'écran radar des médias de masse, la population locale n'était pas du tout immobile. Au contraire. Le site retenu était un ancien atelier ferroviaire qui a longtemps appartenu au CN: 3,5 millions de pi2 de terrains incluant une vingtaine de bâtiments, qui ont été vendus 1$ à un promoteur immobilier qui devait décontaminer à ses frais et revendre à Loto-Québec une partie des terrains pour 25 millions de $.

On s'en doute, le nouveau propriétaire ne fut pas très heureux de l'abandon du projet de Loto-Québec. Il envisage alors plusieurs options: concessionnaire automobile, grandes surfaces commerciales, héliport, habitations, etc.!

Les résident-e-s du quartier et leurs organisations communautaires vont rapidement comprendre qu'ils ont intérêt à passer à une logique de proposition s'ils ne veulent pas se faire dépasser par un autre projet. A travers une Opération populaire d'aménagement d'envergure, le quartier va se donner un plan d'ensemble détaillé pour le site des anciens ateliers ferroviaires. Des centaines de personnes participent à cet exercice d'urbanisme démocratique.

Ainsi, lorsque le propriétaire des lieux demande des changements au zonage pour pouvoir faire des habitations et d'autres types d'industrie, les représentant-e-s du quartier sont prêts à intervenir: ils ont un plan à soumettre aussi et exigent de faire partie de la planification urbaine. Les efforts locaux vont se poursuivent pendant cinq ans et vont fortement influencer l'avenir du site.

« Le Bâtiment 7 est à nous »

Dans le cadre de ce nouvel épisode de lutte urbaine nait en 2007 le Centre social autogéré de Pointe-Saint-Charles. Cet organisme libertaire envisage d'occuper illégalement et de réclamer un bâtiment vacant pour y installer ses activités. Il vise le « Bâtiment no. 7 » sur les anciens terrains du CN mais, en accord avec des alliés locaux, il en occupera plutôt un autre sur le Canal-de-Lachine. Évincé par la police, il se retourne vers sa cible originelle et participe à la fondation du Collectif 7 à Nous dont l'objectif est d'exproprier le « Bâtiment no. 7 » au profit de la communauté.

Le Collectif 7 à Nous est formé de groupes divers qui partagent un objectif général mais pas nécessairement la stratégie pour le réaliser. Le Centre social autogéré est plutôt partisan de l'action directe et de l'occupation des lieux. La Fonderie Darling, centre d'art contemporain, préfère plutôt jouer la carte de la culture et d'établir un lien de négociation avec le propriétaire. La Table de concertation Action-Gardien a pour sa part l'expérience des négociations avec les autorités municipales. Les autres membres du collectif ne sont pas en reste: un architecte et une administratrice de la société d'histoire locale disposent d'expertise et d'expérience inestimables, sans compter le soutien du RESO.

S'engage alors une lutte d'expropriation populaire qui utilise une diversité de tactiques concertées: l'action directe et la mobilisation sur le terrain, parfois confrontationnelle; le lobbying auprès des autorités et la négociation directe avec le propriétaire. Cette stratégie – qui fait l'objet de nombreuses discussions internes - s'avère efficace: alors qu'un « accord de développement » pour l'ensemble des terrains est en négociation entre le propriétaire, les autorités municipales et d'autres promoteurs immobiliers, le Collectif 7 à Nous s'insère dans le groupe et demande la cession gratuite d'un bâtiment qui, dans les plans en discussion, doit être démoli. Un an de pressions plus tard, le Collectif réussi à faire insérer dans l'accord de développement l'obligation pour le propriétaire de céder le bâtiment à la communauté.

Dès lors, le propriétaire doit s'entendre avec le Collectif s'il veut obtenir son changement de zonage. Or sa position s'est affaiblie depuis qu'il a acheté le terrain en 2005. Des utilisations et des rénovations non-réglementaire du site, un incendie criminel qui détruit un bâtiment patrimonial, du camionnage dans des rues résidentielles, la volonté de détruire un parc, etc.: le proprio n'a pas bonne réputation dans le coin. Le Collectif tente de négocier la meilleure entente possible, toujours en poursuivant ses pressions directement sur le terrain. Finalement, une entente est signée pour la cession du bâtiment. Elle stipule que le propriétaire décontamine les lieux, donne le bâtiment pour 1$ et donne en plus 1 million de dollars au Collectif pour débuter la rénovation.

De l'importance du mouvement local

Il faut comprendre cette victoire comme celle du mouvement social local. Le gain du Bâtiment 7 est celui d'un mouvement local qui dépasse largement le Collectif 7 à Nous. C'est l'action continue sur le front de l'aménagement urbain depuis dix ans qui a permis de modifier substantiellement un projet de développement qui allait à l'encontre des intérêts locaux. Car en plus du Bâtiment 7, le quartier a réussi à conserver un parc qui était condamné, à obtenir 25% de logements sociaux (la norme habituelle est de 15%), à faire ouvrir une entrée de camionnage loin des habitations, à réduire le nombre de condos et à augmenter la surface des espaces verts...

Pas mal pour des immobilistes.

Et maintenant?

Dans les prochains mois le bâtiment changera de propriétaire et sa rénovation commencera. A court terme s'y installeront une vingtaine d'ateliers d'artistes, une salle de spectacle multifonctionnelle, un café-bar, une brasserie artisanale et un hall d'exposition, tous projets à but non lucratif et autogérés. A moyen terme on y construira une serre et d'autres équipements communautaires.

Les Ateliers 7 à Nous – le nouveau nom du projet – commenceront bientôt à s'animer. Des défis importants attendent ses promoteurs, au premier chef ceux du financement et de l'embourgeoisement. Mais déjà les militantes et les militants de la Pointe sont fiers: ils ont réussi à exproprier, à la force du bras, un des gros promoteurs immobiliers de Montréal.

Le Collectif 7 à Nous est formé de:



Centre social autogéré
Action-Gardien
Fonderie Darling
Club populaire des consommateurs de Pointe-Saint-Charles
Mark Poddubiuk, architecte
Natacha Alexandroff, résidente.



Dernièrement, quelques articles sont parus sur le même sujet, par le même auteur.

L'obstination des fous de la pointe
La lutte du Centre social autogéré enfin couronnée de succès!
Paru dans Le Couac,2012, vol. 16 no. 1, p. 5.
Texte disponible ici.

Luttes urbaines: Victoire citoyenne à Pointe-Saint-Charles
Paru dans la revue Relations, no. 762, février 2013.
Texte disponible ici.