Un mouvement embryonnaire?

Compte-rendu du Forum sur les modes d’occupation de l’espace urbain

Agence de presse libre de la Pointe - 8 novembre 2007. Hier se tenait au Centre St-Pierre dans le Centre-Sud de Montréal un forum sur les modes d’occupation de l’espace urbain organisé par le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM). Intitulé Mobiliser…Résister…Habiter, le forum visait à réfléchir sur l’occupation illégale de l’espace (public et privé) par ceux et celles qui sont marginalisés par la norme sociale. Quels sont leurs moyens, leurs motivations, leurs droits? Comment politiser ces pratiques d’occupation de l’espace, comment concilier la survie et la défense politique du droit à la ville, du droit d’exister?

Le Forum était aussi l’occasion de rendre public les résultats d’une recherche universitaire sur les « Modes de médiation sociale et les pratiques de squattage », recherche exécutée en partenariat entre le RAPSIM, les professeur-e-s de l’UQÀM Michel Parazelli et Maria Nengeh Mensah et leurs assistant-e-s de recherche. La recherche porte spécifiquement sur le cas du Squat Overdale-Préfontaine à Montréal en 2001 et sur le cas de l’éviction des habitant-e-s de Guindonville, à Val-David, en 2003.

« La journée Squat », comme l’a appelé le coordonnateur du RAPSIM Pierre Gaudreau, s’ancre dans les luttes urbaines en faveur du droit au logement et de l’aide aux personnes itinérantes. M. Gaudreau a rappelé les exemples d’occupation de logements par des locataires menacés d’éviction (la rue St-Norbert sur le plateau en 1975; l’îlot Overdale en 1987-88). Bernard St-Jacques, organisateur communautaire au RAPSIM, rappelle que les pratiques qui seront exposées aujourd’hui sont souvent illégales, temporaires, précaires. Elles sont aussi parfois le moyen de revendication de droits. Ce sont donc surtout des pratiques de squattage urbain par des groupes marginalisés : itinérant-e-s involontaires engagés dans la survie, mais aussi nomades volontaires comme Donald Tremblay, un autochtone du Lac St-Jean qui revendique le droit de planter sa tente chaque fois qu’il en a besoin. Ou bien Mario Paquet qui cherche, accompagné de « sa meute » et de son « Institut d’études sur le pot », à occuper l’espace public de façon semi-permanente en revendiquant son mode de vie et en jouant sur les façons de négocier sa présence publique « pas mal visible ». Parallèlement, plusieurs personnes squattent quotidiennement, furtivement, des immeubles, des coins de ruelle, des dessous de pont, pour survivre. Gagdet et Grimy leur ont donné une voix en retransmettant des témoignages captés dernièrement dans des squats montréalais.

Certaines pratiques combinent ce désir d’avoir un toit avec la revendication collective du droit au logement. Dans le contexte où les quartiers centraux des grandes villes sont « redéveloppés » par l’industrie immobilière mondiale, en partenariat étroit avec nos gouvernements néolibéraux, ceux et celles qui ne veulent pas ou ne peuvent pas suivre les diktats de la société de consommation sont refoulés par la gentrification vers les coins les plus miteux de la métropole.

C’est ainsi qu’en 2001 il y a eu une crise du logement au Québec, après 5 ans de désinvestissement étatique dans le domaine des logements sociaux. L’action d’ouverture du Squat Overdale le 27 juillet 2001 par le Comité des Sans-emploi de Montréal-Centre visait à dénoncer cette situation d’embourgeoisement des quartiers et de privatisation du logement. Catherine Fortin est venue raconter l’histoire de cette mobilisation qui a marqué l’histoire récente des luttes urbaines.


Catherine mentionne d’abord que l’ouverture du Squat était l’aboutissement d’une campagne de deux ans sur le thème du logement. D’autres occupations ont eu lieu, ainsi que du travail de mobilisation, des assemblées publiques sur le logement, etc. Le choix de l’îlot Overdale était bien sûr symbolique : c’est là qu’ont été évincées de force en 1988 des dizaines de locataires pour finalement faire place à un stationnement…
La dernière maison sur le site était pratiquement inhabitable, mais le CSE s’était préparé pour quelques jours d’occupation, s’attendant à être expulsé rapidement. Catherine mentionne que le CSE n'était pas préparé à ce que ça dure aussi longtemps et à ce que la ville leur offre un bâtiment. L'expérience des négociations avec la ville a été difficile. (Pour plus de détails sur l’analyse que fait le CSE de l’expérience Overdale-Préfontaine, visiter la page «des exemples de squats au Canada»).

Après un diner offert par le Comité social Centre-Sud, les chercheur-e-s ont présenté leur étude sur les relations entre les groupes d’acteurs dans le cas du squat Overdale-Préfontaine. Les chercheur-e-s ont fait une vingtaine d’entrevues et analysés la couverture de presse. Ils et elles ont ensuite construits des portraits nuancés de chaque groupe d’acteur pour comprendre leur positionnement social et leur compréhension des enjeux en présence. Leurs conclusions sont à l’effet que la médiation sociale – la communication entre les groupes – n’a pas eu lieu. Les groupes d’acteurs en présence n’ont pas réussi à s’entendre sur leurs intérêts respectifs et à véritablement entrer en communication. Le contexte, il est vrai, était largement conflictuel…la méfiance régnait de part et d’autre, et tous les acteurs avaient de la difficulté à comprendre les agissements du maire, Pierre Bourque. Afin de rendre plus démocratiques ce type de relations conflictuelles, les chercheur-e-s concluent leur recherche par la proposition de nommer des médiateurs désintéressés dans des cas de conflits urbains.

Des représentants et une représentante des groupes d’acteurs en présence sont venus donner leur propres commentaires et réflexions sur cet épisode de lutte urbaine qui remonte déjà à plus de 6 ans. Marie-Claude Goulet pour les squatteur-e-s, François Saillant du FRAPRU pour les acteurs communautaires, Ronald Dubeau des pompiers pour représenter les services municipaux et Michel Prescott, chef de l’opposition municipale à l’époque, représentant des patineurs de fantaisie. Les quatre ont rejeté la conclusion de médiation par un tiers, arguant que dans des cas comme celui-là, c’est la construction du rapport de force qui compte.

(Le rapport de recherche complet sera disponible sur Internet bientôt.)

Mobiliser…Résister…Habiter…

Toutes ces expériences illégales d'occupation des espaces urbains sont considérées comme légitime et nécessaire. Toutes les personnes présentes au Forum - incluant les pompiers! - estiment qu'elles sont légitimes. Cependant, elles sont illégales et sévèrèment réprimées.

Comment une occupation d'espace peut-elle être un lieu de mobilisation, de résistance et un mode d'habiter la ville? A cette question les réponses sont multiples et difficiles. La plupart des squats et des autres types d'occupation cherchent d'abord à satisfaire le besoin d'avoir un toit et de dormir tranquille. Des expériences "politiques" comme celles de Overdale-Préfontaine, du 920 de la Chevrotière à Québec ou du Pope Squat à Toronto avaient pour objectif principal de mettre sur la carte des revendications politiques, de dénoncer des situations. Il est intéressant de noter que, dans les cas de Overdale-Préfontaine et du 920 de la Chevrotière, à Québec, les revendications des squatteurs ont changé à un moment donné. Dans les deux cas s'est ajouté à l'objectif politique une possibilité de construire un espace alternatif où auraient pu, par la suite, s'établir des structures de mobilisation et de résistance. Or, dans les deux cas, on a reproché aux squatteurs de changer leurs revendications, comme si la lutte politique, la revendication d'un droit universel au logement, était incompatible avec la pratique autonomiste de construction d'espaces libres.

Si on veut affirmer le droit à la ville, le droit à la différence dans la ville, il est nécessaire que des espaces physiques soient soustraits au mode de production capitaliste. Les squats, affirmés ou furtifs, sont de tels espaces de résistance.

La majorité des participants au Forum organisé par le RAPSIM veulent qu'un mouvement de squattage se mette en branle à Montréal. Les gens sont motivés, ils aspirent de vivre dans des espaces où on ne leur impose pas un contrôle social qui les enserre dans la normalité et la culpabilité.

Ce que ça signifie pour Pointe Saint-Charles

Avec l'enjeu du redéveloppement des terrains du CN, avec le cas du Nordelec qui s'en vient, cette réflexion sur le squattage devrait interpeller les citoyennes et les citoyens de la Pointe. La plupart des moyens politiques utilisés par les acteurs communautaires de la Pointe n'ont pas fonctionné. La consultation publique sur le projet Nordelec a été complètement récupérée par l'administration de l'arrondissement et le Conseil exécutif de la Ville de Montréal qui s'en servent pour faire passer leur projet.

La même chose pourrait se produire avec les terrains du CN. Le promoteur Chiara va déposer incessamment une demande de modification de zonage à l'arrondissement. La transformation des terrains risque de nous passer sous le nez. Pour la Pointe libertaire, utiliser les moyens institutionnels mis à la disposition de la population pour qu'elle "s'exprime" revient à perdre son temps: les règles ne sont pas faites par nous et nous ne pouvons pas les changer.

L'occupation de l'espace urbain, CN ou Nordelec, est dès lors légitime: ils font partie du quartier, de l'environnement des résidentes et résidents de la Pointe. C'est à elles et eux de décider de ce qu'on en fera. Occuper ces terrains, même illégalement, n'est pas un crime, c'est un acte de responsabilité citoyenne.

M.S.

::: Pour en savoir plus :::

Le bilan de la journée du RAPSIM

veuillez cliquer ici pour le bilan.

L'expulsion des habitant-e-s de Guindonville en 2003

L'affaire Guindonville

Ajouter l'insulte à l'injure

Notre section sur les squats et centre sociaux

Des exemples de squats au Canada

Le projet de Centre social autogéré

Soirée Squat Kanada!

::: Le portail du mouvement squat :::

Squat.net

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